« Il faut manger et consommer local », nous avons tous entendu ces mots, telles des injonctions lancées pour alléger les charges environnementales de notre encombrante humanité. Or l’impact de l’alimentation locale est parfois à la hauteur de tous les appels politiques simplistes voulant faire de cette pratique une référence dans notre empreinte écologique : bien insignifiante. D’autres choix existent pour réduire cette empreinte intelligemment.
Le transport n’est pas le bon coupable !
8 personnes sur 10 considèrent le changement climatique comme une menace majeure pour leur pays[1] et l’alimentation est responsable de plus d’un quart (26 %) des émissions mondiales de gaz à effet de serre[2]. Agir sur l’alimentation est donc un levier déterminant d’action dans la réduction des gaz à effets de serre. Mais est-ce réellement au niveau de la consommation locale – pourtant très à la mode – que nous devons agir en priorité ?
Les résultats d’une étude qui a examiné l’empreinte écologique des régimes alimentaires dans l’UE[3] démontrent que le transport des denrées alimentaires n’est responsable que de 6 % des émissions de CO2. Il est même beaucoup plus faible pour les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre, comme le bœuf, avec 0,5 % du total des émissions.
Les émissions alimentaires d’un ménage américain moyen s’élèvent à environ 8 tonnes d’équivalents de dioxyde de carbone (tCO2eq) par an, et le transport de la nourriture ne représente que 5 % de ce chiffre (0,4 tCO2eq)[4]. Donc, en achetant local, on économiserait seulement moins de 5 % et encore, pas si sûr…
Des haricots locaux ou d’Égypte : c’est du pareil au même
Une étude de l’office fédéral suisse de l’environnement dresse un constat au goût amer, prenant l’exemple très parlant de la consommation de haricots verts frais[5] : l’impact de leur culture sous serres chauffées en Suisse est presque aussi mauvais que celui des haricots importés par avion d’Égypte, le kérosène étant remplacé par l’énergie nécessaire au chauffage des serres.
Si vous choisissez ceux d’Espagne, c’est le même impact, non pas à cause du transport, ni du chauffage, mais à cause de la surexploitation de l’eau, dont les ressources locales sont limitées. Encore mieux, les haricots de Chine, séchés et importés en bateau n’ont qu’un écobilan légèrement plus défavorable que notre haricot frais de saison…
Pas encore convaincus ?!
Autre exemple : l’importation de laitue espagnole au Royaume-Uni pendant les mois d’hiver entraîne des émissions 3 à 8 fois plus faibles que sa production locale[6]. De même, les tomates produites sous serre en Suède consomment dix fois plus d’énergie que l’importation de tomates d’Europe du Sud, où elles sont de saison[7].
Et la viande ne fait pas mieux : le département de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales britannique a comparé les coûts énergétiques et les émissions en gaz à effet de serre des agneaux néo-zélandais et britanniques[8]. Ils sont environ 30 % moindres pour celui à l’autre bout de la planète. La différence n’est pas dans le transport mais dans le mode de production intensif de l’agneau britannique.
Le bœuf ne fait pas « le pois » !
Une grande méta-analyse des systèmes alimentaires mondiaux réalisée sur 38 000 exploitations agricoles commerciales dans 119 pays lève le voile sur la réalité de notre consommation alimentaire et son impact sur le climat : le bœuf est LE grand émetteur de gaz à effets de serre[9] !
1 kg de viande de bœuf = 60 kg de gaz à effet de serre en CO2 équivalent
1 kg de pois = 1 kg de gaz à effet de serre en CO2 équivalent
Il peut sembler étrange de comparer de la viande à un légume… Pourtant, la production de 100 g de protéines à partir de pois n’émet que 0,4 kg d’équivalents de dioxyde de carbone (CO2eq), contre 2,4 pour les noix et 3,5 pour le tofu. Pour obtenir la même quantité de protéines à partir de la viande de bœuf, les émissions seraient près de 90 fois plus élevées, à 35 kg d’équivalent CO2.
Manger du bœuf ou de l’agneau local a une empreinte carbone plusieurs fois supérieure à celle de la plupart des autres aliments. Et d’ailleurs, qu’ils soient cultivés localement ou expédiés de l’autre bout du monde n’a que peu d’importance pour le total des émissions. Ce n’est pas étonnant quand nous savons que la production de protéines issues du bœuf et de l’agneau :
- Représente 25 % des protéines totales produites
- Est responsable de 70 % des émissions de la production de protéines[10]
- Émet plus de cinq milliards de tonnes de CO2eq chaque année, soit plus que le total des émissions annuelles de gaz à effet de serre de l’UE, tous secteurs confondus[11].
5 gestes pour agir intelligemment (et simplement)
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Un seul jour sans viande peut faire la différence
Le simple fait de remplacer moins d’un jour par semaine les calories du bœuf et des produits laitiers par du poulet, du poisson, des œufs ou une alternative végétale réduit davantage les émissions de gaz à effet de serre que l’achat de toute votre nourriture auprès de sources locales[12].
Encore mieux, le transport de la nourriture ne représente que 0,4 tCO2eq et le remplacement de la viande rouge par une alternative végétale économiserait 0,46 tCO2eq. L’absence de produits animaux un jour par semaine équivaudrait donc à un régime sans kilomètres alimentaires.
D’autre part, quelle que soit la provenance de votre bœuf ou de votre agneau, le remplacement du poulet et du porc est susceptible de réduire votre empreinte carbone. En effet, les poulets et les porcs qui ont le plus d’impact dans le monde ont une empreinte de 12 et 14 kgCO2eq. Ce chiffre est similaire, ou seulement légèrement supérieur, à celui des meilleurs producteurs de bœuf et d’agneau du monde.
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Changez votre manière de consommer, parce que le local n’est (presque) pas viable énergétiquement
Si plus de 70 % des consommateurs des zones urbaines du Royaume-Uni considèrent qu’ils devraient avoir le choix d’acheter n’importe quel produit alimentaire à n’importe quel moment de l’année[13], alors le moyen le plus efficace sur le plan énergétique de répondre à cette demande est aussi d’importer des produits récemment récoltés, quitte à les transporter sur de très longues distances, plutôt que de stocker des produits britanniques pendant de longues périodes.
D’autant que la consommation locale stricte peut encourager des modes de productions intensifs avec plus d’engrais, de pesticides et de réfrigération pour la conservation afin de satisfaire une demande (absurde) de produits frais toute l’année[14].
Et si malgré tout, vous voulez rester des consommateurs de produits frais sans tenir compte de la saison, optez pour le transport en bateau, qui émet 50 fois moins de C02eq que l’avion par tonne-kilomètre[15] et évitez les aliments transportés qui ont une durée de conservation très courte et dont la « fraîcheur » est mise en avant (pour lesquels la vitesse de transport est donc une priorité) comme : les asperges, les haricots verts et les baies.
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Devenez flexitarien, pour la planète mais aussi pour votre portefeuille
Une assiette avec un steak c’est 9 fois plus de CO2 qu’un plat végétarien[16] ! Il est fini le temps du tout carnivore.
Le régime flexitarien est une bonne alternative pour respecter les engagements internationaux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (40 % d’émissions en moins) tout en valorisant la qualité nutritionnelle de notre assiette[17].
L’étude INCA 3 de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a même déterminé que l’adoption de ce régime fait baisser le coût moyen de notre panier d’un cinquième. Vous économisez du C02 et votre argent[18] !
Le régime flexitarien c’est officiellement 4 repas avec de la viande et du poisson par semaine et 3 journées par semaine sans viande ni poisson ! Il est de plus nécessaire d’ajouter que la viande rouge doit se consommer deux fois par mois maximum et être issue d’élevages artisanaux en agriculture biologique et locale pour être dans la fourchette la plus basse des émissions carbones.
En 2020, il y aurait, selon un sondage, 16 % de flexitariens contre 6 % de végétariens et 4 % de végétaliens. Ces chiffres atteindraient 53 % de flexitariens contre 26 % de végétariens et 14 % de végétaliens en 2050. Cela veut dire que les minorités d’aujourd’hui pourraient bien être les majorités de demain.
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Optez pour le bio (c’est le même prix)
Dans tous les cas, l’alimentation biologique est recommandée quel que soit le régime. Elle est reconnue comme une source de nutriments antioxydants de presque de deux tiers supérieure à l’agriculture conventionnelle, avec 4 fois moins de pesticides[19].
Vous craignez pour vos économies ? L’étude du WWF et Eco2initiative est éloquente : le coût moyen d’un panier en bio flexitarien, végétarien ou végétalien est le même qu’une assiette conventionnelle classique de référence[20]. Il n’y a aucun argument valable s’en priver.
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Limitez le gaspillage
Le gaspillage alimentaire est responsable d’environ 6 % minimum du total des émissions mondiales de gaz à effet de serre[21].
Pour vous donner une idée : il s’agit d’environ trois fois les émissions mondiales de l’aviation, ce qui en fait le troisième émetteur au niveau mondial devant les États-Unis et la Chine[22].
Pour résumer, que vous l’achetiez à l’agriculteur d’à côté ou de loin, ce n’est pas l’endroit qui fait que l’empreinte carbone de votre dîner est importante, mais ce que contient votre assiette avant tout : le fait qu’il s’agisse de bœuf[23] notamment (qu’il soit local ou pas), mais également de fruits n’étant pas de saison, produits de façon intensive et très gourmands en d’énergie.
Adoptez un régime flexitarien écologique et biologique semble être la meilleure option, en consommant des produits locaux de saison[24] et en diminuant notablement sa ration de protéines animales (vous l’aurez compris, surtout de bœuf) !
Sylvain Garraud
[1]. www.pewresearch.org/fact-tank/2019/04/18/a-look-at-how-people-around-the-world-view-climate-change/
[2]. Poore, Nemecek, « Reducing food’s environmental impacts through producers and consumers », Science, 2018
[3]. Sandström, Valin, Krisztin, et al., « The role of trade in the greenhouse gas footprints of EU diets », Global Food Security, 2018
[4]. Weber, Matthews, « Food-Miles and the Relative Climate Impacts of Food Choices in the United States », Environmental Science & Technology, 2008
[5]. www.bafu.admin.ch/dam/bafu/fr/dokumente/wirtschaft-konsum/magazin-umwelt/magazin_umwelt_12012-transparentermarkt.pdf.download.pdf/magazine_environnement12012-objectiftransparence.pdf
[6]. Hospido, Canals, et al., « The role of seasonality in lettuce consumption: a case study of environmental and social aspects », The International Journal of Life Cycle Assessment, 2009.
[7]. Carlsson-Kanyama, Ekström, Shanahan, « Food and life cycle energy inputs: consequences of diet and ways to increase efficiency », Ecological Economics, 2003.
[8]. Final Report : Comparative Life Cycle Assessment of Food Commodities Procured for UK Consumption through a Diversity of Supply Chains, http://randd.defra.gov.uk/Default.aspx?Module=More&Location=None&ProjectID=15001
[9]. Poore, Nemecek, « Reducing food’s environmental impacts through producers and consumers », Science, 2018.
[10]. Poore, Nemecek, « Reducing food’s environmental impacts through producers and consumers », Science, 2018.
[11]. https://ourworldindata.org/co2-and-other-greenhouse-gas-emissions
[12]. Weber, Matthews, « Food-Miles and the Relative Climate Impacts of Food Choices in the United States », Environmental Science & Technology, 2008
[13]. Milà, Canals, Burnip, Cowell, « Evaluation of the environmental impacts of apple production using Life Cycle Assessment (LCA): Case study in New Zealand », Agriculture, Ecosystems and Environment, 2006.
[14]. Foster, Green, et al., « Environmental Impacts of Food Production and Consumption : A report to the Department of Environment », Food and Rural Affairs, Manchester Business School. Defra, London, 2006.
[15]. Poore, Nemecek, « Reducing food’s environmental impacts through producers and consumers », Science, 2018
[16]. www.eco2initiative.com/post/2016/05/26/en-connaissant-le-contenu-de-notre-assiette-nous-pouvons-b%C3%A2tir-un-monde-meilleur-1
[17]. Thomas Uthayakumar, « Vers une alimentation bas carbone, saine et abordable volet 2 – prospective des régimes alimentaires et évolution de l’empreinte carbone de l’alimentation en France », WWF et ecoinitiave2, 2019
[18]. https://www.anses.fr/fr/content/etude-inca-3-pr%C3%A9sentation
[19]. Baranski, Srednicka-Tober, Volakakis, et coll., « Higher antioxidant and lower cadmium concentrations and lower incidence of pesticide residues in organically grown crops », British Journal Of Nutrition, 2014
[20]. WWF, ECO2, « Vers une alimentation bas carbone, saine et abordable », Étude comparative multidimensionnelle de paniers alimentaire – Impact carbone, qualité nutritionnelle et coûts, 2017
[21]. Ibid.
[22]. www.climatewatchdata.org/ghg-emissions
[23]. https://ourworldindata.org/food-choice-vs-eating-local
[24]. https://echosverts.com/2014/09/01/eco-defi-pourquoi-manger-bio-local-et-de-saison/
image article : https://www.flickr.com/photos/100076711@N06/15130591717