Cueillir exige de connaître ce que nous cueillons et sans acquisition de ce savoir, et même de cette culture, nous sommes rompus à l’idée d’interdiction en nous résignant aux fruits des étalages commerciaux qui mûrissent en pourrissant. Je ne peux m’empêcher cette citation de Lieutaghi qui notait en écrivant sur les fruits de l’aubépine « les fruits des aubépines communes assez fades et farineux, ne sont guère appréciés, aujourd’hui, que par les enfants des campagnes » et il poursuit entre parenthèses « (et encore faut-il que leurs parents, devenus ignorants des choses de la nature, ne leur aient pas systématiquement interdit tous les fruits sauvages) ». Ces fruits sont pourtant autour de nous, mais pour nous, peuple urbain ou semi-urbain, cet autour est une barrière construite sur les cendres d’un héritage perdu, celui du savoir de nos campagnes. Rien ne nous empêche d’ouvrir cette barrière et d’accéder au temple de la nature, libre et serein. Il suffit comme tous les arts, et la cueillette en est un, d’avoir du plaisir à le pratiquer et la connaissance s’intégrera naturellement dans nos réflexes comme celui de casser des œufs ou de lire les mots qui composent cette phrase. Apprendre à lire la nature est un roman éternel, voici quelques lettres de l’alphabet des baies.
Groseiller rouge sauvage, Ribes alpinum
On le rencontre assez souvent en montagne avec ces belles grappes moins touffues que son homologue cultivé. Ces belles baies étincelantes déçoivent par leur plate saveur. Fade, je fais honneur à leur grâce en les incorporant avec les cousines framboise dont le parfum est ineffable.
Aubépine épineuse, Crataegus laevigata
J’ai cité l’aubépine à un style, mais l’épineuse ou à deux styles sera tout autant utilisé comme les hybrides entre elles et d’autres espèces moins connues. Sur le plan botanique, un style : un noyau, deux styles… je vous laisse compter, mais parfois trois. Les fruits des aubépines sont farineux et peu encourageants à les consommer sur l’arbre. Or, les cenelles ou poires du seigneur en Suisse font une merveilleuse confiture que mes convives ne démentent pas tant le pot ne survit pas à la première ouverture. Les fruits séchés étaient employés en farine dans les temps de pauvre moisson. Comme les autres comestibles, l’homme attaché aux vis de l’ivresse, ont fermenté puis distillé ces belles du seigneur. La purée d’aubépine mélangée aux cynorhodons outre le délice qu’ils nous réservent est particulièrement nutritive. Elle est relativement calorique comparativement aux autres baies, bien pourvues en calcium, potassium, fer et sodium. Je mentionnerai l’azerole, le fruit de l’aubépine de méditerranée, l’azerolier, qui est dans le top 5 de mes fruits sauvages d’Europe. Cette grosse baie d’aubépine orangée est mon jujube de méditerranée.
Sureau à grappes, Sambucus racemosa
Le sureau rouge est un fidèle du sapin et du hêtre dans les forêts subalpines. Ces petites baies en grappes rouge flamboyant au moment de leur pleine maturité font du sureau à grappes, un joyeux arlequin des plateaux montagnards forestiers. Reconnaître le temps de la cueillette est aisée si on sait écouter ou observer, grives, merles et même bouvreuil pour les plus affutés du regard. J’ai pu en observer un récemment dans les douces courbes du plateau jurassien avec le sureau noir et l’yèble. La famille était réunie pour semble-t-il un conclave de caprifoliacées auquel les deux pattes ne seraient être invité. La gelée a un goût agréable avec ce léger parfum indéfinissable du sureau, mais gelé indispensable, car les pépins vous conduiront rapidement sur les trônes des enfers. Liqueurs et alcool de suc fermenté étaient aussi préparés donc je n’ai pas eu vent de l’usage aujourd’hui.
Viorne lantane, Viburnum lantana
Les fruits jeunes sont irritants, voir davantage, s’adoucissent en noircissant et serait comestible jusqu’à pouvoir en déguster cru, mais toujours en petit nombre. Ils auraient un goût de pruneau. L’exagération est courante dans les lectures sur les comestibles. La baie de la mancienne, avec ses baies rouges et noires en corymbes coexistant le temps du passage au cycle de la défoliation, ne sera pas une rivale du pruneau. Amis du lot, vos prunes sont succulentes. Il est cependant possible d’en faire une confiture pour les plus originaux.
Viorne obier, Viburnum opulus
Les boules de neiges, telle est le nom de ces baies rubicondes, qui sont les ornementales des zones humides boisées. Les fruits seront consommés cuits et gare à ceux qui oserait s’en délecter en cueillette instantanée. La lycorine qu’ils contiennent, un alcaloïde toxique à forte dose, sera un bon tord-boyaux. Ils étaient cuits avec farine et miel dans les pays scandinaves ou servaient à la préparation de jus de fruits fortifiants associés à la pomme. La pomme étant aux jus de fruits ce que la pomme de terre est à la soupe, un compagnon équilibrant et adoucissant bien utile pour l’harmonie des saveurs. Les fruits de la viorne obier sont riches en provitamine A.
L’épine-vinette, Berberis vulgaris,
Cet arbrisseau épineux est connu pour son utilisation contre le diabète en contrôlant le taux de sucre sanguin, contre l’obésité et comme protecteur cardio-vasculaire. Cette grande amie des troubles métaboliques se trouve en quelques pieds sur les coteaux, les pentes sèches buissonneuses, les haies et les forêts claires sur terrain calcaire. Ces fruits seront à maturité en deuxième partie d’été et offrent les avantages de la groseille et du limon (Chaumeton, flore médicale). Ces baies, comme des pendentifs suspendus au sommet des rameaux, confèrent à cet arbrisseau une image de fou du roi de nos haies. La cueillette sera prudente, car les épines sont tranchantes. Il en résultera un bénéfique sirop désaltérant après cuisson et tamisage. Compotes, confitures et gelées en association avec ou sans des pommes, ou pour les plus originaux en mode câpres avec estragon ou hydromel. Ces fruits matures en deuxième partie d’été ont une teneur significative en fer.
Cornouiller mâle, Cornus mas
Arbuste se reconnaissant facilement à ses feuilles aux veines principales arquées convergentes vers la pointe du limbe. Ses fruits sont rouges à la différence du cornouiller sanguin aux fruits noirs purgatifs. La cornouille est excellente. À l’instar de ses congénères sauvages, elle est astringente avec les propriétés associées. En gelée ou confitures, ils seront appréciés. Elles étaient utilisées en sauce de cornes sur les viandes ou en confit de sel selon une recette de l’émérite docteur Leclerc pour obtenir des olives de cornes. Sa saveur est parfumée, acidulée et n’a pas rien à jalouser aux grandes classiques groseilles ou framboises.
Amélanchier, Amelanchier ovalis
Un arbrisseau tapi dans les sous-bois ou exposé dans les rocailles arides qui se remarque dans la puissance de son inflorescence immaculée. En début de printemps, il symbolise la vigueur végétale et ses fleurs blanches aériennes sont féeriques. Les jardiniers ne s’y trompent pas et l’amélanchier fait figure d’arbre d’ornement. L’amélanche a une saveur sucrée, mais cette plante d’expansion et de démonstration ne pouvait pas se contenter d’une chance de reproduction. La baie est pleine de pépins et ne sera pas l’ami de vos molaires. En revanche, j’ai encore le souvenir d’avoir goûté aux fruits de l’amélanche du Canada dans un jardin de conservation en maquis méditerranéen. L’expérience d’un nouveau fruit est toujours un instant de grâce, c’est comme observer une plante ou un oiseau dit rare, écouter une nouvelle sonate à cordes ou bien sentir frissonner son corps et son esprit par une odeur mystérieuse. L’amélanche du canada est riche en fer et cuivre, elle est une bonne nutritive et antioxydante. L’amélanche européenne peut faire des confitures pour les âmes pénitentes.
Sorbier des oiseleurs, Sorbus aucuparia
Proche parent du sorbier domestique et de la savoureuse corme, il est le représentant du genre en montagne. Ces fruits rouge vif, particulièrement décoratifs sont des friandises pour nos amis les bêtes à plumes. J’ai en mémoire des hordes de grives litornes s’accrochant à tous les rameaux d’un sorbier enneigé de tous son tronc. D’ailleurs, son nom latin revendique son lien, Aucuparia, du latin Aucupor, signifie chasser les oiseaux. Les cochènes du sorbier sont comestibles, mais acides et amères. Les acides toxiques disparaissent à la cuisson, raison de plus pour essayer la gelée ou la confiture de sorbes. On en tire une eau de vie, un alcool de sorbe, ils ont été aussi mangés en macération dans une eau miellée ou réduit en farine en mélange à de la farine de céréale. Ils sont riches en vitamine C.
Alisier torminal, Sorbus Torminalis
Facile à reconnaître avec ses feuilles aux lobes triangulaires, aigus, finement dentées comme une feuille d’érable sycomore compacté. De la famille des rosacées, ces baies en corymbes sont brun jaunâtre, charnues, acerbes à la maturité, puis pulpeuses et acidulées. À l’instar des sorbes ou cormes, les alises ou aloses s’adoucissent après bleuissement. Elles sont savoureuses en compotes. Elles auraient servi à fabriquer la fameuse bière des Gaulois, la cervoise. Il est l’arbre de ma cour de jeux pendant l’enfance ou je l’ai observé s’épanouir et former des quantités de corymbes dopés par son exposition sans concurrence à la lumière et malgré les innombrables coups francs portant atteinte à sa croissance. Son frère de systématique, l’alisier blanc et ses feuilles au verso d’argent qui par contraste optique avec le vert franc du recto, jouent avec la lumière et le vent pour produire des effets de scintillements. Aussi majestueux est ce jeu de chrome aussi faible est son intérêt culinaire, les fruits de l’alouchier sont fades et farineux et ne satisferont que par choix de frugalité.
Quelques fausses amies
Camérisier des haies, Lonicera xylosteum
Bien implanté dans nos forêts, le camérisier dérivé des mots grecs « kamaï » et « kerasos », cerisier nain est une analogie purement esthétique tant cette cerise est impropre à la consommation. Une livre de cerise vous facilitera le transit tandis que quelques baies de ce chèvrefeuille peuvent avoir des conséquences létales pour l’enfant. Il convient donc d’en admirer le charme sans la tentation d’en apprécier le fruit.
If, Taxus buccata
L’If a une couverture sombre, presque lugubre, atmosphère qui prévient l’indésirable de sa puissance. Il est connu pour la synthèse du Taxol, médicaments anti-cancer. Il traite la folie cellulaire, un poison contre un poison, l’offensive est à la mesure de l’attaque. Alors, l’arille, fruit de l’if, petite perle rosée en coupe portée solitairement par les rameaux, inoffensif débarrassé de sa graine maléfique, ne serait être recommandable pour les amateurs de fruits sauvages. Plutarque met en garde ceux qui voudraient dormir à l’ombre de cet arbre, comme il serait presque sorcellerie de fabriquer un lit en if. Il y a des baies dont la privation est de mise. Laissons les turdidés s’en délecter et contentons-nous de respecter ce grand médicinal.
Cotoneaster à feuilles entières, Cotoneaster integerrima
L’ami des parcs est aussi un arbuste sauvage. Le cotonéaster est une mini pomme rouge mat et n’a d’affinité avec sa cousine rosacée que la première impression. Il est défendu de s’en nourrir, contient des dérivés de l’acide cyanhydrique, le cyanure comme les noyaux d’abricot.
Pour clore cette liste bien maigre en comparaison des possibles, je ne serai que vous recommandé en lieu et place des inutiles rangées de ses pauvres cupressus ou autres arbres ou arbustes plus morts que vivant, appelées haies de protection de ses maisons-prisons, que de planter amélanchier, cornouiller, sorbier, épine-vinette, aubépine devant un parterre de framboisier dont je ne pouvais pas moins que de citer la reine des baies dans cette relative synthèse sur les fruits sauvages de nos régions. Je m’excuse ainsi pour les argousiers, arbousiers, cynorrhodons, jujubes ou autres porteurs de baies aux multiples vitamines et minéraux, antioxydants, nutritifs de ne pas vous avoir cité. J’espère ainsi sincèrement vous avoir convaincu que la baie de goji, sans lui ôter ses vertus bien plus modestes que prétendues, n’est pas la seule et unique et nos chères Européennes auraient du succès si l’exotisme ne l’emportait pas sur le savoir désuet de nos parents.
Bonne cueillette.
Références principales
- Couplan françois. Guide nutritionnel des plantes sauvages et cultivées. Delachaux et Niestlé. 1998.
- Flore descriptive de la France méditerranéenne continentale. Conservatoire botanique méditerranéen de Porquerolles. Edition Naturalia. 2014.
- Fournier Paul-Victor. Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France Broché. Editions Omnibus. 2010.
- Lauber Konrad, Wagner Gerhart. Flora helvetica : flore illustrée de Suisse. 4ème édition. Haupt. 2012.
- Leclerc henri. Les fruits de France. Broché. 1950.
- Lieutaghi pierre. Arbres, arbustes et arbrisseaux. Actes sud. 2004.