La gentiane asclépiade a ouvert le bal. Elle offrait sa parure à qui veut la voir dans ce bas-fond austère où les fleurs se sont envolées avec l’été comme si elles voulaient se distinguer du vert dominateur ou comme si paraître lui permettait exister. L’épilobe de saint Antoine exploitait les clairières avec la menthe à feuilles longues au milieu d’une densité d’épicéa propre aux versants ombragés. J’en ai ramassé quelques brins (de menthe) pour expérimenter une recette de compote à la pêche.
Epilobe à feuilles étroites, Epilobium angustifolium L., l’ami des prostates.
La montée a commencé. J’avais décidé d’en découdre avec les dénivelés. J’ai grimpé aveugle aux beautés de l’environnement. Le chant du pouillot de Bonelli est venu me tirer de ma torpeur puis j’ai continué mon ascension autiste. C’est en arrivant dans la combe d’Oldenegg que j’ai ouvert mon esprit. Des gentianes ciliées s’épanouissait dans les prairies d’altitude. Je voyais le mur que j’avais décidé de monter dans une frénésie physique.
La gentiane ciliée, Gentianopsis ciliata (L.) Ma
Dans ces moments, je pense souvent à ceux qui fuient leur pays poussé par la misère et la peur et qui affrontent ces massifs avec leur volonté de vivre comme unique détermination. Nous marchons pour le plaisir, c’est un luxe immense que nous nous offrons. Je continue sur un chemin plat qui nous conduit au pied de la montagne. La grimpe commence. Mes seuls arrêts ont été pour une scabieuse luisante et une des plus belles estampes de fin d’été, les anthocyanes des feuilles de myrtilles. Je suis resté quelques minutes dans ce tableau impressionniste assis sur une forêt centenaire de saules nains et rampants.
La scabieuse luisante, Scabiosa lucida Vill.
La myrtille automnale
La deuxième partie de l’ascension était rocailleuse et le contraste saisissant entre la douceur des pelouses dans le pays des marmottes et l’aridité des éboulis d’altitude. La saxifrage des ruisseaux ou à feuilles opposées a bien tenté d’embellir ces zones minérales avec son compagnon, le céraiste à larges feuilles mais la pierre est plus forte dans ces hauteurs. Une dernière escarmouche du végétal est venu de la campanule du mont Cenis.
Campanule du Mont Cenis, Campanula cenisia L.
Le saxifrage des ruisseaux, Saxifraga aizoides L.,
Le saxifrage à feuilles opposées, Saxifraga oppositifolia L.
Les dénivelés raides ont continué puis au col, le glacier. Le vent frais soufflé là-haut et augurait que la dernière grimpette serait fraîche. Au-delà de 3000 mètres, c’est un autre monde, j’imagine à 5000. Sur le toit des Diablerets, comme sur tout autre montagne au sommet, on se recueille et on écoute le temps.
Cette montagne était belle et le panorama évidemment magnifique et pourtant…du bas jusqu’en haut, on a l’impression d’être sur une montagne artificialisée, des câbles par ci, des tuyaux par-là, des mâts de neiges artificiels, des engins, des canalisations. Les alpes sont domptées. Les chalets envahissent les vallées puis arrivent les aménagements pour les amateurs de neige. Les hélicoptères passaient et repassaient, la télécabine s’entendait de loin, des chenillards circulaient sur le glacier. Où étaient le silence des sommets… je suis redescendu légèrement irrité par tant de spoliations uniquement pour réjouir éphémèrement les férus de glisse. Le pilote des montagnes, le faucon pèlerin a fait de la voltige, une gentiane de Bavière exposaient ostentatoirement son bleu indécent dans une combe à neige, les marmottes, obèses, grasses, pataudes se défilaient ou sifflaient devant l’étranger.
La gentiane de bavière, Gentiana bavarica L.
En bas de cette immense combe, j’ai emprunté le sentier qui suit l’Oldebach. Il était là le plus bel endroit du massif, plus de pylônes ou autres bazars mécaniques. Une lumière de fin de soirée, chaleureuse, inondait une prairie au pied des éboulis rocheux. Il y avait une belle diversité de milieu avec le ruisseau, les pelouses et les escarpements. J’étais bien. Je me suis à demi-assoupi devant cette scène crépusculaire. Des aulnes blanchâtres formaient une colonie au-dessus de la limite de la forêt que je n’avais pas remarqué à l’aller, hagard ou seules mes pieds restaient déterminés. J’étais heureux de ma journée.