La consommation de plantes pour améliorer sa santé est un marché en pleine essor. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette tendance. Or les plantes sont des ressources naturelles et peuvent être des ressources épuisables en cas de surexploitation. C’est le cas du ginseng, de la gentiane, du ravintsara, de l’arnica, du thym, de l’harpagophyton pour les plus connus. Leurs bienfaits et efficacités sont incontestables (1) mais leur surconsommation menace leur existence. Les questions de l’approvisionnement sont généralement passées sous silence (2). Notre santé au naturel ne doit pas être une menace pour les plantes qui nous font tant de bien. Un proverbe chinois dit : « Le médecin soigne, la Nature guérit.» Nous sommes des êtres vivants comme les autres espèces animales et végétales et notre bien-être est indissociable du respect du vivant. Je vous invite à vous intéresser à cet aspect peu exploré du monde de la santé verte et à chercher des alternatives quand c’est possible.
Les plantes sauvages, des ressources naturelles fragiles
Les plantes sont des ressources naturelles renouvelables à la condition impérative que leur taux de prélèvement soit inférieur à la productivité nette disponible, c’est-à-dire au taux de régénération (3). Sur les plus de 250 000 espèces de végétaux supérieurs recensés (4), entre 50 000 et 70 000 sont utilisées à des fins médicinales, pharmaceutiques ou cosmétiques et 3000 font l’objet d’un commerce internationale (5). La grande majorité de ces espèces médicinales et aromatiques sont collectées dans leur milieu naturel (6). En 1987, seules 150 espèces figuraient au registre du commerce mondial et faisaient l’objet d’un commerce à grande échelle. Une centaine d’entre elles représentaient un flux commercial significatif et fournissaient 119 composés naturels. Une dizaine seulement étaient cultivées et concentraient l’essentiel du chiffre d’affaire des plantes médicinales et aromatiques (7). Bien qu’il soit difficile d’évaluer les besoins des industries de la santé (médicaments, compléments alimentaires, cosmétiques) en matières premières végétales ou animales en l’absence de sources d’informations officielles et visibles (8), on peut admettre que les pressions d’exploitation concernent seulement les plantes à forte valeur ajoutée. Le risque que les taux de prélèvement des plantes « vedettes » dépassent leur taux de régénération est une réalité.
Victime de leur succès
Prenons le cas connu de l’harpagophyton. Son volume d’exploitation est passé de 20 tonnes en 1991 à 610 tonnes en 1998 (9). En 2002, rien qu’en Namibie, il a grimpé à 1000 tonnes. Plus proche de nous, le thym, apprécié tant pour son goût que pour ses propriétés médicinales et ingrédient majeur des herbes de Provence, a quitté les garrigues provençales pour être exploité au Maroc voire en Pologne, bien connue pour son climat méditerranéen. La forte demande culinaire et en huile essentielle de cette plante a conduit à une surexploitation sur certaines terres marocaines arides (10). Le Ginseng nord américain est interdit de cueillette au Canada et a pratiquement disparu comme le Ginseng asiatique dans les forêts montagneuses de l’Est de l’Asie. Il est maintenant cultivée à grande échelle dans le monde sans pour autant qu’il existe de normes de qualité pour protéger la santé des consommateurs (11). En Auvergne, l’emblématique gentiane exploitée à raison de plus de 1000 tonnes par an (12) subit une forte pression de cueillette. Une politique de gestion concertée est certes amorcée mais l’importante demande dont elle fait l’objet suscite des dérives (2).
Le thym, l’aromatique en chef des garrigues
Les menaces de la consommation de masse : L’histoire se répète
Le rapport sur la cueillette des plantes sauvages dans les Pyrénées constate que l’engouement sur les plantes et leurs différents usages se traduit par pléthore d’articles et de reportages. On y vante les propriétés des végétaux, leur fort potentiel en molécules actives encore inexplorées ou les problèmes actuels de l’herboristerie par exemple. Par ailleurs, les stages destinés aux particuliers fleurissent : apprendre à repérer, reconnaître, cueillir, transformer et utiliser les simples. De leur côté, les industriels communiquent énormément sur les aspects « nature » des produits qu’ils proposent (2). Pour les plantes à la mode, l’augmentation de la demande est synonyme d’augmentation de la vulnérabilité. L’histoire illustre ce constat notoire. Le pernambouc des archers exploités depuis plus de cinq siècles (13) a été inscrit sur la liste 2 de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) (14,15). Le Taxus contorta, une espèce d’if de l’Himalaya, utilisé pour la production de Taxol, un médicament utilisé en chimiothérapie, surexploitée à des fins médicinales ou pour le bois de chauffage et le fourrage, est passée de «vulnérable» à «en danger» en 2011 (16). La liste est longue.
Des actions de gestion complexe et limitée
Certes, il existe bien des actions de préservation. L’arnica et la gentiane jaune, par exemple, sont récoltés dans toute l’Europe (surtout en Bulgarie et en Roumanie) et sont cités dans l’Annexe V de la directive européenne Habitats (92/43/CEE), qui énumère les plantes et animaux dont l’exploitation peut exiger des mesures de gestion (16). Or, les enjeux financiers autour de l’exploitation de ces plantes peuvent laisser craindre des lendemains bien sombres. L’harpagophyton est un beau cas d’étude concernant la gestion des ressources naturelles. Prenant acte de l’augmentation de son exploitation, l’Allemagne avait soumis une proposition visant à inscrire le genre Harpagophytum à l’Annexe II de la CITES. Or les grands Etats exportateurs, la Namibie en tête, ont vigoureusement manifesté leur opposition compte tenu des implications économiques et sociales pour leurs populations. Le manque de données sur la situation globale de l’espèce et le suivi des prélèvements, la biologie de l’espèce – seuls les tubercules secondaires sont exploités, ce qui ne mettrait pas en péril le devenir de la plante, à condition toutefois de respecter ce principe d’exploitation -, les enjeux économiques et sociaux pour les populations pauvres des zones de distribution de l’espèce et certainement les intérêts financiers de la filière sont autant de facteurs qui rendent difficiles le contrôle et l’encadrement de l’exploitation et encore plus la mise en place d’une politique globale de gestion et de conservation durable de l’espèce (9). Quelle que soit la ressource naturelle concernée, l’efficacité des actions de gestion est limitée. Lorsque la demande est supérieure à l’offre, nous mettons le stock en péril.
Prenons conscience et agissons
Dans « L’homme renaturé », Jean-Marie Pelt écrit que « la concertation à l’échelle mondiale pour la gestion des ressources naturelles, l’exploitation des matières premières et la sauvegarde de l’environnement devient un impératif auquel on ne pourra plus longtemps se soustraire » (17). Dans ce contexte, à nous consommateurs citoyens de devenir des acteurs-consommateurs responsables dans ce marché des plantes.
- Développons notre sens critique sur les conseils pléthoriques de santé-bien-être. Des formations courtes ou longues existent qui peuvent vous aider à mieux personnalisé vos soins en fonction de vos besoins. Cela vous permettra mieux de comprendre ce qui se cache derrière les conseils santé et de se poser les bonnes questions. Je suis partisan des écoles qui enseignent les plantes du jardin à l’utilisation. Je vous recommande la formation de Christophe Bernard, pédagogique, instructive, complète (18) mais d’autres écoles de plantes ou d’herboristerie sont aussi valables.
- Utilisons ces plantes à bon escient, en cas de réelle nécessité, en l’absence d’alternatives. Dans le numéro de décembre 2016 d’Alternatif Bien-être, Nicola Wirth nous parle de la Scrofulaire noueuse qui peut avantageusement se substituer à l’Harpagophyton.
- Exigeons un étiquetage clair aux vendeurs de plantes et produits transformés. Il est très difficile d’obtenir dans de nombreux cas l’origine des plantes commercialisés. A l’instar de la traçabilité sur les produits alimentaires, il devrait être obligatoire que les consommateurs puissent avoir un accès clair à une information précise sur les approvisionnements des fournisseurs.
- Poursuivons notre engagement à libéraliser le marché des plantes et à soutenir des programmes de recherches indépendants permettant de répondre aux autorisations de mises sur le marché. Dans le numéro de plantes et bien-être de Mars 2017, Jean michel Morel s’inquiète de l’appauvrissement de la diversité des plantes utilisées en phytothérapie. Plus de quantité de plantes consommées et de moins en moins de diversité de plantes médicinales possibles, nous devons nous réapproprier le savoir traditionnel d’apprendre à se soigner les petits bobos par nous-mêmes sans avoir recours à des pilules ou gélules qui ont fait le tour du globe.
- Privilégions les fournisseurs responsables qui s’engagent à travailler à la préservation de la ressource et à ne commercialiser que les produits de régénération. Astérale nous propose une huile essentielle de ravintsara de qualité (19), Flore en Thym investit le domaine du thym dans les garrigues héraultaises avec un projet de développement durable autour de la cueillette innovant (20). Ces exemples ne sont pas les seuls, je vous invite à me contacter afin de développer un réseau de fournisseurs engagés.
- Cultivons nos plantes. Avec un minimum d’apprentissage, les plantes de notre environnement ou cultivés à la maison nous offrent déjà de belles ressources « renouvelables » de bien-être. De plus, jardiner est une activité physique très bénéfique à la santé et vous aurez le plaisir de savourer de délicieux légumes.
A votre santé,
Sylvain Garraud
- Vogler BK1, Pittler MH, Ernst E. The efficacy of ginseng. A systematic review of randomised clinical trials. Eur J Clin Pharmacol. 1999 Oct;55(8):567-75.
- Raphaële Garreta, Béatrice Morisson. La cueillette des plantes sauvages en Pyrénées Phase 2 : analyse et valorisation. Conservatoire botanique nationale pyrénées et midi-pyrénées. 31 mai 2014.
- François RAMADE, « ressources naturelles », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/ressources-naturelles/
- Sous la direction de Francis Hallé, Collectif d’Auteur. Aux Origines des plantes : Tome 1, Des plantes anciennes à la botanique du XXIe siècle. Editions Fayard. 1 octobre 2008.
- Marshall Elaine. Health and Wealth from medicinal aromatic plants. Rural Infrastructure and Agro-Industries Division Food and Agriculture Organization of the United Nations. Rome 2011.
- Danna J. Leaman. The international standard forsustainable wild collection of medicinal and aromatic plants (issc-map). Elements of the Standard Relevant to CITES NDF. International Expert Workshop on CITES Non Detriment Findings Perennial Plant Working Group (Ornamentals, Medicinal and Aromatic Plants Cancun, Mexico, November 2008.
- Natura 2000. Lettre d’information natura 2000 numéro 23. Décembre 2007.
- Moretti christian, Aubertin Catnerine. Stratégies des firmes pharmaceutiques :la bioprospection en question. IRD. 2008
- Le Monde de La CITES. Bulletin officiel des Parties. Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). Numéro 9 – juillet 2002.
- http://www.ecologie.ma/souss-la-culture-du-thym-menacee/
- ftp://ftp.fao.org/codex/meetings/ccpfv/ccpfv26/pf26_09f.pdf
- http://www.cpparm.org/la-gentiane/
- Laszlo Pierre. Copal, Benjoin, Colophane…Histoire des sciences. Editions le pommier. Mars 2007.
- http://www.lemonde.fr/planete/article/2007/08/01/les-archetiers-pleurent-le-pernambouc_940927_3244.html
- https://cites.org/fra/app/index.php
- http://www.journaldelenvironnement.net/article/quand-l-homme-detruit-les-plantes-medicinales,25907
- Jean-Marie PELT. L’Homme renaturé. Editions Robert Laffont. 2015
- https://formation-plantes-medicinales.com/
- https://www.asterale.com/fiches_qualite.php
- https://flore-en-thym.com/
Gentiana lutea, la gentiane encore abondant dans le jura suisse