Je mange du pain avec des anciennes céréales, il y a peu de gluten et je digère mieux. Le responsable est donc le gluten… Vraiment ?! Si, vous aussi, vous pensez que le gluten est l’ennemi N°1 à éradiquer de nos assiettes, vous vous trompez de cible… Et le sempiternel argument du « c’était mieux avant » ne tient pas (du tout) la route en ce qui concerne le blé. Attention, vous risquez d’être surpris !
Les blés modernes contiennent moins de gluten…
Le lien entre l’évolution du blé, l’augmentation de la teneur en gluten et les pathologies pouvant être associées est loin d’être une vérité !
Le chercheur auprès du Département de l’agriculture américain, Donald D. Kasarda, dans une étude publiée en 2013 dans le Journal of Agricultural and Food Chemistry, a signalé une baisse de la teneur en gluten des blés modernes cultivés dans les grandes plaines agricoles intensives du nord des États-Unis[1].
De même, une étude britannique parvient à des résultats similaires de baisse des protéines du blé britannique avec des concentrations plus faibles de protéines dans les cultivars[2] récents, qui ont diminué d’environ 16,9 % à 12,5 %[3].
Il est cependant indéniable que la sélection variétale a augmenté le rendement des blés : environ 88 % du gain de rendement du blé d’hiver au Royaume-Uni entre 1981 et 2007 – soit l’équivalent de 6 à 8 tonnes – est attribuable à l’amélioration génétique[4], mais cela n’implique pas plus de gluten.
…Et plus d’amidon !
Dario Fossati et Cécile Brabant, d’Agroscope, le centre de compétence de la Confédération suisse dans le domaine de la recherche agronomique et agroalimentaire, ont mesuré la teneur en gluten de 287 variétés locales de blé et 1030 variétés et lignées modernes suisses. Ils ont découvert que les anciennes variétés avaient légèrement plus de gluten que les variétés modernes !
L’explication est simple : l’amidon, qui représente environ 85 % du grain, requiert moins d’énergie pour être produit par la plante, alors que les protéines – donc le gluten – plus coûteux énergétiquement, a tendance à baisser dans les céréales sélectionnées pour les rendements élevés[5].
Une composition nutritionnelle similaire au blé de 1860 !
Une équipe d’universitaires canadiens a pris des graines de 37 variétés de blé, représentant des grains de chaque décennie à partir des années 1860, et a cultivé le blé dans le même champ dans les mêmes conditions. Ils ont récolté le blé et comparé sa composition nutritionnelle avec celle du blé roux moderne de printemps de l‘Ouest canadien.
Après avoir analysé les glucides, les protéines et d’autres éléments nutritifs de ces grains, ils ont découvert que le blé d’aujourd’hui est nutritionnellement similaire à celui cultivé en 1860[6] !
Il faut bien tordre le cou à l’idée que les anciennes céréales contiennent moins de gluten.
Pourtant, quand je ne mange plus de gluten ou du pain d’anciennes céréales, je digère mieux. Regardons ensemble quelques hypothèses possibles plus sérieuses que la simpliste comparaison entre céréales modernes et anciennes.
Cinq hypothèses à considérer avant de tuer le gluten
- Hypothèse physiopathologique: vous n’êtes finalement pas sensible au gluten, ou la controverse de l’hypersensibilité
Une étude de l’unité de gastro-entérologie de l’université de l’Aquila, en Italie, a établi un pourcentage de personnes hypersensibles réelles au gluten. Autour de 6 %[7] et 86 % des patients qui se plaignaient de « symptômes en lien avec le gluten » n’ont ni allergies, ni maladie cœliaque, ni même d’hypersensibilité[8].
Pour autant, au-delà de la bataille des chiffres, l’amélioration de symptômes gastro-intestinaux ou non gastro-intestinaux déclarés après éviction du gluten est une réalité empirique (que je pratique) et scientifique.
Une étude de revue de littérature montre d’ailleurs le lien entre la sensibilité au gluten non cœliaque et un historique personnel d’allergie alimentaire dans la petite enfance[9].
En biologie, des tests sur les anticorps IgG antigliadine positifs et une infiltration d’éosinophiles dans certains tissus digestifs[10] pourraient aider au diagnostic de la sensibilité au gluten non-cœliaque (NCGS)[11].
Mais le meilleur chemin pour distinguer une NCGS reste cependant une réponse positive à un régime sans gluten pendant une période limitée de six semaines minimum, suivie de la réapparition des symptômes après une provocation au gluten[12].
- Hypothèse alimentaire: vous en mangez moins (tout simplement)
Autre hypothèse : le degré de transformation de ce gluten (et pas de modification des blés) et/ou la dose ingérée font qu’il pourrait être moins digeste.
Le problème ne viendrait donc pas de la sélection des blés modernes et du nombre de leurs chromosomes mais du fait que le gluten soit présent dans de plus en plus de produits céréaliers ultra-transformés et ingérés dans une quantité beaucoup plus grande comme agent de texture, agent stabilisant, ou ajouté aux farines dans les pains industriels, ce qui n’était pas le cas avant l’apparition massive de l’ultra-transformation des produits[13].
Le gluten et ses dérivés des céréales anciennes ou modernes ne sont pas le poison, ce serait encore la dose qui le constitue. En passant aux céréales anciennes et au pain au levain, c’est une bonne partie du gluten industriel que vous avez évité et donc une dose trop élevée de gluten.
- Hypothèse nutritionnelle: vous avez un profil de SIBO ou de côlon irritable (vous connaissez les FODMAPs ?)
Le pain contient encore des fibres – il peut en fournir environ 20 % de l’apport quotidien total au Royaume-Uni[14] – mais aussi des FODMAPs[15], un groupe de composés qui sont impliqués dans la gêne causée chez les patients atteints du syndrome du côlon irritable (SCI)[16], ou ayant un profil SIBO (small intestinal bacterial overgrowth). Car le SCI cache un SIBO dans plus de 60-70% des cas !
Le changement de régime alimentaire global lié à l’éviction du pain peut, par la diminution de la quantité de ces composés, améliorer votre digestion grâce à une diminution de la fermentation associée aux glucides du pain.
Des inhibiteurs d’enzymes digestives (comme la trypsine et les amylases) pourraient aussi être à l’origine de la sensibilité au blé non cœliaque[17].
- Hypothèse technique: vous avez opté pour des céréales anciennes et vous allez mieux (alors qu’est-ce que je raconte…)
Les variétés anciennes de blé sont panifiées au levain avec de longues fermentations, plus acides, qui améliorent la digestibilité du pain. Dans ce cas de figure, la digestibilité pourrait être davantage liée au processus de panification qu’à la variété de blé.
Une étude de 2015 atteste que la différenciation ancienne/moderne jouerait un rôle moins prédominant dans la digestibilité du gluten que les méthodes de panification utilisées par les boulanger(ère)s[18]. Pour eux, la transformation moderne du blé a bien engendré une augmentation de l’exposition aux composés immunoréactifs.
D’autres facteurs techniques peuvent intervenir dans la digestibilité du pain comme le type d’écrasement des grains pour en faire de la farine, les taux d’extraction, l’assemblage de lots, les additifs, la durée de fermentation, le type de cuisson, etc.[19]
- Hypothèse fonctionnelle: votre intestin ne digère plus rien…
Dans le cas où votre intestin ne digèrerait plus rien, le retrait du gluten peut aider mais il vous faudra investiguer plus sérieusement les causes de vos troubles immunitaires et inflammatoires intestinaux.
La perméabilité vous guette mais ne retombons pas dans les schémas dogmatiques. Seul un suivi avec un professionnel qualifié peut vous aider dans les multiples causes et facteurs de l’épidémie d’indigestion.
Sylvain Garraud
Article paru sur révélations santé-bien être, janvier 2021
Image : https://cassidyscraveablecreations.com/?br=http%3A%2F%2Fcookingglutenfree.blogspot.com%2F
[1]. Kasarda DD., « Can an increase in celiac disease be attributed to an increase in the gluten content of wheat as a consequence of wheat breeding ? », J. Agric. Food Chem., 2013.
[2]. Variété d’une espèce végétale obtenue artificiellement pour être cultivée.
[3]. Shewry, Pellny, Lovegrove, « Is modern wheat bad for health? », Nature, Plants, 2016.
[4]. Mackay, et al., « Reanalyses of the historical series of UK variety trials to quantify the contributions of genetic and environmental factors to trends and variability in yield over time », Theor. Appl. Genet., 2011
[5]. www.agroscope.admin.ch/agroscope/fr/home/publications/recherche-publications/_jcr_content/par/externalcontent.external.exturl.pdf/aHR0cHM6Ly9pcmEuYWdyb3Njb3BlLmNoL2VuLVVTL0FqYXgvRW/luemVscHVibGlrYXRpb24vRG93bmxvYWQ_ZWluemVscHVibGlr/YXRpb25JZD00NDI1NQ==.pdf
[6]. https://agbio.usask.ca/news/2015/wheat-research-yields-plenty-of-attention.php
[7]. Capannolo, Viscido, Barkad, et al., « Non-Celiac Gluten Sensitivity among Patients Perceiving Gluten-Related Symptoms », Digestion, 2015
[8]. www.youtube.com/watch?v=oxZukq8Rkus&fbclid=IwAR2WlbUv1nrc6FyK5Z3002yJ7wWVIeAwpK7c25zTNIYviuIX8Qa4in7FQOU (toutes les sources disponibles dans la description de la vidéo)
[9]. Mansueto, Seidita, D’Alcamo, Carroccio, « Non-celiac gluten sensitivity: literature review », J Am Coll Nutr., 2014
[10]. www.mdedge.com/gihepnews/article/173630/gastroenterology/eosinophils-could-be-marker-nonceliac-gluten-or-wheat
[11]. Mansueto, Seidita, D’Alcamo, Carroccio, « Non-celiac gluten sensitivity: literature review », J Am Coll Nutr., 2014
[12]. Casella, Villanacci, Di Bella, Bassotti, Bold, Rostami, « Non celiac gluten sensitivity and diagnostic challenges », Gastroenterol Hepatol Bed Bench, 2018.
[13]. Fardet, « Wheat-based foods and non celiac gluten/wheat sensitivity: Is drastic processing the main key issue? », Med Hypotheses, 2015
[14]. Steer, Thane, Stephen, Jebb, « Bread in the diet: consumption and contribution to nutrient intakes of British adults », Proc. Nutr. Soc., 2008.
[15]. Fermentable Oligo-, Di-, Mono-saccharides And Polyols. Le régime pauvre en FODMAPs consiste à limiter les aliments contenant des glucides ou sucres « fermentescibles » qui sont fermentés par les bactéries du côlon et peuvent provoquer des ballonnements, flatulences et douleurs abdominales caractéristiques du syndrome de l’intestin irritable.
[16]. Gibson, Shepherd, « Evidence-based dietary management of functional gastrointestinal symptoms: The FODMAP approach », J. Gastroenterol. Hepatol., 2010.
[17]. Lisa Kissing Kucek et al., « A Grounded Guide to Gluten: How Modern Genotypes and Processing Impact Wheat Sensitivity. Comprehensive Reviews », Food Science and Food Safety, February 2015
[18]. Lisa Kissing Kucek et al., « A Grounded Guide to Gluten: How Modern Genotypes and Processing Impact Wheat Sensitivity. Comprehensive Reviews », Food Science and Food Safety, February 2015
[19]. www.agroscope.admin.ch/agroscope/fr/home/publications/recherche-publications/_jcr_content/par/externalcontent.external.exturl.pdf/aHR0cHM6Ly9pcmEuYWdyb3Njb3BlLmNoL2VuLVVTL0FqYXgvRW/luemVscHVibGlrYXRpb24vRG93bmxvYWQ_ZWluemVscHVibGlr/YXRpb25JZD00NDI1NQ==.pdf