Au-delà de tout l’intérêt des médias et du grand public pour le cannabidiol (CBD), surfant sur une vague de confusion entre les amateurs de marijuana et les véritables bienfaits du CBD, on ne se pose plus la question de l’origine de la douleur. Cela donne l’impression qu’il faudrait la faire taire un point c’est tout. Et à ce jeu-là, le cannabidiol semble bien faire ses preuves… mais faut-il pour autant l’utiliser à tort et à travers ?
La médecine d’aujourd’hui ne cherche parfois plus à comprendre l’origine de la douleur, mais plutôt à en supprimer les mécanismes complexes. Cela est confirmé par les ventes des remèdes antidouleurs, qu’ils soient chimiques ou naturels – même si depuis quelques années, la tendance du marché des antalgiques semble pencher du côté des solutions naturelles[1].
Dans cette tendance, le CBD tire clairement son épingle du jeu : cette industrie pèse aujourd’hui des milliards et prône le miracle analgésique sur une population qui a de plus en plus mal[2]…. Mais ne serions-nous pas en train de démocratiser la douleur ?
Parmi les usages grand public du CBD figure son utilisation anxiolytique, pour favoriser le sommeil et faire face aux douleurs. Une revue de 2020 le souligne nettement et montre tout l’intérêt du CBD dans les douleurs chroniques[3]. L’étude montre aussi que l’intérêt du CBD est de chercher des alternatives aux opioïdes face à ces douleurs chroniques et c’est bien cela qui interroge.
Gluten et caséine, les aliments qui font mal (littéralement)
Les effets majoritairement antagonistes sur les récepteurs de la douleur de certains dérivés opiacés du gluten et de la caséine peuvent avoir une forte responsabilité dans les situations de douleur chronique[4].
Des fragments du gluten peuvent agir sur des gènes impliqués dans le fonctionnement de l’insuline et dans le contrôle de l’inflammation et majorer les douleurs en cas d’hyperméabilité intestinale[5].
Douleurs fibromyalgiques : un lien avec le gluten
Ainsi, les douleurs des personnes sensibles au gluten (ne souffrant pas d’une maladie cœliaque) ont souvent un lien avec des troubles fonctionnels comme le syndrome du côlon irritable et la fibromyalgie, reconnue comme le syndrome des douleurs chroniques[6].
D’ailleurs, une étude a suivi 20 patients pendant 16 mois souffrant de fibromyalgie sans maladie cœliaque qui étaient soumis à un régime sans gluten[7]. Les résultats ont montré une rémission des critères de douleur de la fibromyalgie, un retour au travail, un retour à la vie normale ou même un arrêt des opioïdes !
Schizophrénie et mort subite du nourrisson… dans le lait ?
Et quand il s’agit de douleurs, le gluten n’est pas le seul à être incriminé. Il est démontré qu’un certain nombre de fragments de protéines du lait peuvent se fixer aux récepteurs opioïdes (comme ceux de la morphine par exemple) chez l’adulte ou du nouveau-né. Plusieurs dérivés synthétiques de la bêta-casomorphine[8] se sont révélés être des molécules très spécifiques qui se lient de façon très puissante aux récepteurs opioïdes[9].
Or les dernières études montrent que ce serait la β-caséine A1 qui libère le peptide pro-inflammatoire β-casomorphine 7 (BCM-7)[10] avec des implications neurologiques, tels que l’autisme et la schizophrénie, ou encore le syndrome de mort subite du nourrisson[11].
L’environnement reste la base de notre santé
Le niveau de BCM-7 est 4 fois plus élevé dans le lait des bovins Holstein-Friesian (Kamiński, 2007), race souvent considérée comme le fleuron de l’industrie laitière intensive. Là encore se confirme que la logique de santé est le corollaire de la logique environnementale. Car le lait des races Guernesey et Jersey, ou d’autres élevages extensifs, plus spécifique en A2, montre un intérêt santé dans la prévalence des maladies cardiovasculaires et le diabète de type 1 (Kamiński, 2007).
Une place de choix dans la phamacologie
Évidemment, il serait bien prétentieux de vouloir résumer les douleurs chroniques à ces deux peptides opioïdes que sont le gluten et la caséine A1.
Cela a tout de même l’intérêt de développer une hypothèse systémique à un problème complexe et de ne pas se contenter de la réponse CBD face à un constat implacable : l’augmentation des personnes atteintes de douleurs chroniques invalidantes et son cortège de maux allant de l’anxiété au trouble du sommeil.
Il ne s’agit pas non plus de discréditer une molécule intéressante sur le plan thérapeutique, encore moins la plante associée. Le CBD a assurément sa place dans la pharmacologie moderne, même s’il ne doit pas cacher l’étendue du problème de santé publique de l’augmentation croissante de recours aux opioïdes naturels ou chimiques pour soulager les souffrances chroniques de nos populations.
Des effets reconnus…
En psychiatrie avec l’épilepsie
Ses effets reconnus et bien documentés sont incontestablement sur l’épilepsie. Des preuves récentes existent basées sur des études cliniques récentes contrôlées par placebo pour des patients atteints du syndrome de Lennox-Gastaut et du syndrome de Dravet. Néanmoins, celui-ci n’est pas non plus miraculeux et doit se faire uniquement avec un médicament[12] et une surveillance des paramètres hépatiques[13].
Plus surprenant, le Covid-19
Les extraits de Cannabis sativa, à haute teneur en cannabidiol, ont des effets immunomodulateurs et anti-inflammatoires en intervenant sur des mécanismes physiologiques complexes[14]. Il pourrait atténuer la production incontrôlée de cytokines responsables de la lésion pulmonaire aiguë, avoir une activité antivirale directe et inhiber le développement de la fibrose pulmonaire, améliorant ainsi la fonction pulmonaire chez les patients guéris[15]. Cela reste cependant à confirmer.
Le plus connu : les douleurs neuropathiques et chroniques
En agissant sur certains neurones centraux et périphériques (CB1), le cannabidiol aurait une action sur la suppression des spasmes et de la spasticité musculaires associés à la sclérose en plaques ou aux lésions de la moelle épinière, ainsi que sur le soulagement des douleurs chroniques[16].
Un médicament est utilisé à cette finalité, le Sativex (combinaison de cannabidiol et de THC) qui est autorisé au Royaume-Uni, en Espagne et en Nouvelle-Zélande pour traiter la spasticité due à la sclérose en plaques.
… Et d’autres très prometteurs
En agissant sur le potentiel thérapeutique du système endocannabinoïde, le CBD, ou d’autres produits dérivés du cannabis contrôlé, pourrait traiter de nombreuses pathologies, telles que : les vomissements, la douleur, l’inflammation, la sclérose en plaques, l’anorexie, l’épilepsie, le glaucome, la schizophrénie, les troubles cardiovasculaires, le cancer, l’obésité, les maladies liées au syndrome métabolique, la maladie de Parkinson, la maladie de Huntington, la maladie d’Alzheimer et le syndrome de Gilles de la Tourette[17].
Des risques existent bel et bien
Les effets du cannabidiol dépendent fondamentalement de la pureté, de la préparation et de la concentration du CBD et d’autres composants, et le consensus et la normalisation font cruellement défaut en ce qui concerne leur préparation, leur composition, leur utilisation et leur efficacité[18].
Sans vérification par un laboratoire indépendant, il est impossible de savoir si le dosage de CBD indiqué sur les produits non approuvés par la FDA est correct, si la teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol répond aux exigences pharmacologiques du pays de commercialisation[19] et si le produit est exempt de falsification et de contamination[20].
Malgré les croyances et sa popularité, le CBD n’est pas sans risque, avec des effets indésirables (principalement de nature somnolente et gastro-intestinale) et des interactions médicamenteuses. Il a été démontré que le CBD augmente les tests de la fonction hépatique et nécessite des études supplémentaires pour évaluer son impact sur les idées suicidaires[21].
Sylvain Garraud
[1]. www.lepharmaciendefrance.fr/article-print/les-antidouleurs-souffrent#:~:text=Son%20CA%20en%20cumul%20annuel,comprim%C3%A9%20et%20Spedifen%20(Zambon).
[2]. www.illustre.ch/magazine/le-cbd-en-suisse-apres-le-boom-et-la-saturation-un-marche-florissant
[3]. Capano, Weaver, Burkman, « Evaluation of the effects of CBD hemp extract on opioid use and quality of life indicators in chronic pain patients: a prospective cohort study », Postgrad Med., 2020 Jan.
[4]. Dubynin, Asmakova, Sokhanenkova, et al., « Comparative analysis of neurotropic activity exorphins–derivatives of dietary proteins », Biull Eksp Biol Med., 1998 Feb.
[5]. Soares, De Oliveira Matoso, et coll., « Gluten-free diet reduces adiposity, inflammation and insulin resistance associated with the induction of PPAR-alpha and PPAR-gamma expression », Nutr.Biochem., 2013.
[6]. Losurdo, Principi, Iannone, et al., « Extra-intestinal manifestations of non-celiac gluten sensitivity: An expanding paradigm », World J Gastroenterol., 2018
[7]. Isasi, Colmenero, Casco, et al., « Fibromyalgia and non-celiac gluten sensitivity: a description with remission of fibromyalgia », Rheumatol Int., 2014 Nov.
[8]. Peptide (c’est-à-dire un enchaînement d’acides aminés) provenant de la dégradation de la caséine du lait
[9]. Teschemacher, Koch, Brantl, « Milk protein-derived opioid receptor ligands », Biopolymers, 1997
[10]. Brooke-Taylor, Dwyer, Woodford, Kost, « Systematic Review of the Gastrointestinal Effects of A1 Compared with A2 β-Casein », Adv Nutr., 2017.
[11]. Kamiński, Cieslińska, Kostyra, « Polymorphism of bovine beta-casein and its potential effect on human health », J Appl Genet., 2007.
[12]. Épidiolex reconnue par la sévère Food and Drug Administration américaine, swiss medic…
[13]. Samanta, « Cannabidiol: A Review of Clinical Efficacy and Safety in Epilepsy », Pediatr Neurol., 2019 Jul.
[14]. Iffland, Grotenhermen, « An update on safety and side effects of cannabidiol: A review of clinical data and relevant animal studies », Cannabis and Cannabinoid Research, 2017
[15]. Esposito, Pesce, Seguella, et al., « The potential of cannabidiol in the COVID-19 pandemic », Br J Pharmacol., 2020 Nov.
[16]. Pertwee, « Cannabis and cannabinoids: pharmacology and rationale for clinical use », Forsch Komplementarmed. 1999 Oct.
[17]. Kaur, Ambwani, Singh, « Endocannabinoid System: A Multi-Facet Therapeutic Target », Curr Clin Pharmacol., 2016
[18]. Arzimanoglou, Brandl, Cross, et al., « The Cannabinoids International Experts Panel; Collaborators. Epilepsy and cannabidiol: a guide to treatment ». Epileptic Disord, 2020 Feb.
[19]. < 1% pour la Suisse
[20]. White, « A Review of Human Studies Assessing Cannabidiol’s (CBD) Therapeutic Actions and Potential », J Clin Pharmacol., 2019 Jul.
[21]. White, « A Review of Human Studies Assessing Cannabidiol’s (CBD) Therapeutic Actions and Potential », J Clin Pharmacol., 2019 Jul.