Il sonne comme le symbole d’un retour à une vie « sauvage », plus saine, star des menus diététiques et branchés… Pourtant, le riz sauvage – qui n’est même pas véritablement du riz – n’est finalement rien de plus qu’un beau slogan destiné à allécher les désireux d’une alimentation vivante, loin des systèmes de production intensifs de notre mode de consommation actuel.
Ce n’est même pas du riz !
Dans la famille des riz qui compte entre 7000 et 10 000 variétés différentes, pas toujours évident de s’y retrouver entre riz rond, riz complet, semi-complet, basmati, gluant, surinam, blanc, brun ou rouge… Bref, c’est un peu la jungle quand il s’agit de faire un choix.
Vous êtes de plus en plus nombreux à opter pour ce que l’on appelle communément « riz sauvage » parce que cela donne l’illusion d’un riz plus naturel, moins traité que le serait un riz cultivé. Pourtant, il n’est sûrement pas celui que vous pensez.
Déjà, quand vous consommez du riz sauvage, aussi appelé zizanie des marais, vous pensez au moins manger du riz… Eh bien ! les puristes (ou botanistes) vous affirmeront qu’il ne s’agit même pas de riz (même si pour nous, commun des mortels, la différence n’est pas flagrante).
En réalité, les différents riz que nous connaissons, qu’ils soient ronds, complets, basmati ou thaï, viennent tous d’une même espèce, l’oryza, alors que le riz sauvage, reconnaissable à ses grains très fins, longs et noirs ou brun foncé, vient de l’espèce zizania. Celle-ci se compose elle-même de quatre sous-espèces différentes, dont une originaire d’Asie et trois d’Amérique du Nord, où elles occupent les eaux peu profondes des lacs et rivières[1].
Un riz sauvage qui n’est pas sauvage
Traditionnellement, le riz sauvage était récolté en canoë par les Amérindiens qui moissonnaient ces marais à graminées dans lesquels une partie des graines tombant à l’eau favorisait un réensemencement de l’espèce au printemps[2].
Dès 1950, la domestication de la zizania a commencé afin d’augmenter sa productivité. Les méthodes de production sont les mêmes que pour le riz (oryza) avec mécanisation intensive, contrôle hydraulique et utilisation de pesticides.
Une réglementation adoptée au Minnesota stipule que la mention paddy rice (riz cultivé) doit être accolée au nom générique wild rice (riz sauvage), réglementation circonscrite aux cultures de cet État d’Amérique alors que la variété la plus commercialisée est produite en Californie… et porte donc simplement le nom de riz sauvage (bien que cultivé et domestiqué, comme tous les oryza). Croyez-vous encore que le « riz sauvage » de vos supermarchés soit toujours sauvage[3] ?
Nous parlerons donc d’un riz qui n’en est pas un, et “sauvage” pour le bonheur des tenants du marché juteux du wild rice.
Comment savoir si c’est un « vrai » ?
Si, malgré tout, vous voulez consommer du riz véritablement « sauvage », assurez-vous que l’emballage comporte l’une ou l’autre des mentions suivantes : lake wild rice, hand-picked wild rice, hand-harvested wild rice (riz sauvage de lac, riz sauvage ramassé ou récolté à la main).
Nutritionnellement intéressant…
Le « riz sauvage » contient environ 30 % de protéines[4] de plus que les autres céréales[5] et notamment de la lysine. Il est riche en vitamines B1, B2, B3, B5, B6, B9, en minéraux communs comparables aux autres céréales[6] [7], mais il peut aussi être chargé en arsenic et en plomb, des métaux lourds dont on se passerait volontiers dans notre assiette[8].
Une étude de revue de 2020 mentionne une composition phytochimique intéressante[9] avec notamment des acides phénoliques et des flavonoïdes qui ont des propriétés antioxydantes prononcées et associées à l’atténuation de la résistance à l’insuline et de la lipotoxicité, la prévention de l’athérosclérose, des effets anti-inflammatoires, antiallergiques, antihypertenseurs et immunomodulateurs[10].
…mais un impact environnemental non négligeable
Une étude a évalué les émissions des gaz à effet de serre de plusieurs riz, dont un riz sauvage d’Amérique. Son impact environnemental était comparable aux autres riz parboiled[11]… Et ce n’est pas beaucoup mieux côté bio, apparemment : le seul riz bio de cette étude est en tête de liste des productions émettrices. Et pourtant, il venait d’Italie.
C’est le riz tessinois de Suisse qui obtient la palme du bilan climatique avec sa culture en terrain sec et son absence de production de méthane, gaz 25 fois plus nuisible que le CO2[12].
Un autre rapport du WWF sur les aliments du futur a introduit le riz sauvage dans sa liste d’aliments « pour une planète et des personnes plus saines »[13]. Mais de quel riz sauvage parlent-ils ? Celui cueilli par les Amérindiens – une production de niche qui devrait rester locale – ou celui cultivé à renforts de chimie ? Car c’est bien tout l’enjeu de la consommation de riz sauvage cultivé qui peut mettre en péril une tradition ancestrale alimentaire et sacrée, comme ces écosystèmes de la région des lacs nord du Minnesota, dont la céréale est devenue l’emblème.
Le vrai riz sauvage menacé de disparition
De nombreux facteurs menacent la conservation du riz sauvage non cultivé – le « vrai » riz sauvage – comme :
- La pollution de l’eau
- La fluctuation des niveaux d’eau
- La concurrence des herbes indigènes
- L’érosion provoquée par le trafic fluvial
- L’élimination physique du riz sauvage par les propriétaires de stations balnéaires ou de terres cultivées
- Les maladies et enfin l’érosion génétique[14].
Ajoutons à cela l’augmentation de la demande qui laisse libre cours à toutes les innovations technologiques, comme pour toutes les céréales.
Une nouvelle variété a par exemple été créée avec des plants mâles stériles qui peuvent se croiser avec la zizania sauvage. La tentation de la création d’OGM est grande également, avec tous les risques que cela pourrait avoir sur l’espèce sauvage[15].
Que faire ?
- Diversifions nos assiettes
75 % de l’approvisionnement alimentaire mondial provient de seulement 12 espèces végétales et cinq espèces animales. Trois d’entre elles (riz, maïs, blé) représentent à elles seuls près de 60 % des calories d’origine végétale dans l’ensemble de l’alimentation humaine[16]. 75 % de la diversité génétique des plantes en agriculture a été perdue[17].
En Thaïlande, sur les 16 000 variétés autrefois cultivées il n’en reste plus que 37[18]. Au cours du siècle dernier, les États-Unis ont perdu 80 % de leurs variétés de choux, de pois et de tomates.
Nous appauvrissons notre biodiversité alimentaire au profit d’espèces productives, avec un risque aggravé d’intolérance alimentaire[19].
L’érosion génétique de nos productions à des fins de rentabilité s’accompagne aussi de modes de production qui mettent en danger le vivant dont nous faisons partie.
La diversité alimentaire n’est pas juste une addition de nos produits dans l’assiette mais se compte aussi dans le nombre d’espèces/variétés consommées.
- Retrouvons nos graines locales (connaissez-vous la spergule et la gesse ?)
Connaissez-vous la jarosse ou gesse chiche qui peut se consommer comme les lentilles ? La gesse commune ou la gesse velue autrefois cultivées ? La cameline, qui peut vous fournir une magnifique huile végétale riche en oméga-3 ?
Et avez-vous entendu parler de la spergule qui donne le beurre de spergule au Pays-Bas ? De la nigelle pour aromatiser vos pains et vos plats méditerranéens, des vesces comme culture fourragère, qui donnent un lait savoureux et sûrement plus digeste que le lait de vache… Qu’en est-il du pois carré, à nouveau cultivé dans le Gers, ou du lupin, qui vous fera une excellente farine ou de quoi grignoter à l’apéritif ?
J’ai l’habitude de demander à mes clients de réserver une étagère pour les huiles et les farines. Soutenez ces initiatives, ici et là, de personnes aux démarches innovantes et humaines qui proposent des produits issus du vivant et pas des dollars. Et laissons le riz sauvage aux locaux du Wisconsin ou du Minnesota[20].
Sylvain Garraud
Article paru dans RSB n°50, novembre 2020
[1]. http://legacy.tropicos.org/Name/40028598
[2]. C’est juste un exemple parfait de gestion intégrée et durable à son environnement.
[3]. www.passeportsante.net/fr/Nutrition/EncyclopedieAliments/Fiche.aspx?doc=riz_sauvage_nu
[4]. Wang L, Wang YJ, Porter R., « Structures and physicochemical properties of six wild rice starches », J Agric Food Chem, 2002 April.
[5]. Zhai, et al., « Study on nutrition composition and protein quality of a Chinese wild rice », Wei Sheng Yan Jiu, 2000
[6]. Lorenz , « Wild rice: the Indian’s staple and the white man’s delicacy », Crit Rev Food Sci Nutr., 1981
[7]. www.monalimentation.org/sources.html
[8]. Bennett, Chiriboga, et al., « Heavy metals in wild rice from northern Wisconsin », Sci Total Environ, 2000 February
[9]. Phytostérols, γ-oryzanol, γ-acide aminobutyrique, acides phénoliques et flavonoïdes
[10]. Yu, Chu M, Chu C, et al., « Wild rice (Zizania spp.): A review of its nutritional constituents, phytochemicals, antioxidant activities, and health-promoting effects », Food Chem., 2020 june.
[11]. Dans ce procédé, le riz brut est séché en plusieurs étapes, trempé, traité à la vapeur chaude, séché, décortiqué et enfin poli.
[12]. www.myclimate.org/fileadmin/user_upload/myclimate_-_home/02_Take-action/01_Corporate_clients/15_Climatop_label/Products/Terreni_alla_Maggia/Produkte/Terreni_alla_Maggia_Risotto-Reis_LOTO_500g/Factsheet_f_Terreni_alla_Maggia_Risotto_Reis_LOTO_500g.pdf
[13]. www.wwf.org.uk/sites/default/files/2019-02/Knorr_Future_50_Report_FINAL_Online.pdf
[14]. Biesboer, « The Ecology and Conservation of Wild Rice, Zizania palustris L., in North America », Acta Limnologica Brasiliensia, 2019, vol. 31, e102.
[15]. White Earth Land Recovery Project, « Wild Rice and the Ojibwe People », <nativeharvest.com/video-wildrice>
[16]. www.fao.org/docrep/007/y5609e/y5609e01.htm#bm1
[17]. www.fao.org/docrep/007/y5609e/y5609e02.htm#bm
[18]. www.fao.org/fileadmin/templates/food_composition/documents/upload/Interodocumento.pdf
[19]. Sapone, Bai, Ciacci, « Spectrum of gluten-related disorders : consensus on new nomenclature and classification », BMC Med, 2012
[20]. https://nativefoodnetwork.com/market-2/food-products/wild-rice/buy-local-buy-wisconsin-wild-rice/