Du sel, c’est du sel, n’est-ce pas ? Mais saviez-vous qu’il en existe plus de 25 variétés différentes ? Pourtant, qu’il soit rose de l’Himalaya, noir de Hawaï, ou bleu de Perse, un sel reste un sel. Ne croyez ni les publicitaires, ni tout ce que vous pouvez lire sur internet sur les propriétés spéciales de telle ou telle variété. Apprenez à bien choisir ce condiment incontournable, il en va de votre santé.
Moins de chlorure de sodium… plus d’uranium !
Il existe tant de sels différents et méconnus que l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires suisse a décidé de se pencher sur la question et d’éditer un rapport très officiel sur la question des sels et de leur composition… Ses résultats risquent de vous surprendre[1].
25 sels différents y sont analysés. Et c’est le sel classique (marin, raffiné ou gemme) qui remporte la palme de la pureté : il contient autour de 99% de chlorure de sodium. Les sels dits spéciaux, quant à eux, ont un taux de chlorure de sodium plus proche de 94%.
Mais de quoi le reste est-il constitué ?
D’oligo-éléments utiles à la santé (fer, zinc…) mais aussi de certains contaminants comme l’aluminium, l’uranium ou le cadmium. En quantité infimes, certes, mais présents tout de même.
Ne comptez pas sur son fer
Concernant les nutriments décelés, ils étaient généralement présents en quantités si faibles qu’ils n’ont pas de signification nutritionnelle. Oubliez donc le sel exotique arc-en-ciel pour satisfaire vos besoins en minéraux !
Pourtant, on continue de voir régulièrement fleurir sur internet les louanges du sel de l’Himalaya pour sa teneur en fer, qui lui donne d’ailleurs cette belle teinte rosée si particulière. Et en effet, 5 g de ce type de sel couvrent en moyenne près d’un cinquième des besoins journaliers en fer.
Cependant, comme ce fer est présent sous forme d’oxyde de fer insoluble, il est difficilement assimilable par l’organisme. Ce n’est donc pas la bonne solution pour combler une éventuelle carence.
Ne faites pas cette grossière erreur
Les sels de Perse seraient, pour leur part, intéressants car ils contiennent des quantités relativement élevées de potassium : 5 g de ce sel couvre un quart des besoins journaliers en potassium.
Et pourtant, ce n’est pas non plus une solution envisageable, car trop de sel ajouté dans l’alimentation entraîne à terme… une carence en potassium, responsable des troubles de la tension artérielle[2].
Pire, une équipe de chercheurs a prouvé, en analysant les données de 187 pays, qu’une consommation de sodium supérieure à 2 g par jour avait entraîné environ 1,65 million de décès de causes cardiovasculaires en 2010[3].
La forte consommation quotidienne de sodium (supérieure à 2 g, soit plus de 5 g de sel par jour[4]) et l’absorption insuffisante de potassium (moins de 3,5 g/jour) sont des facteurs de risques accrus d’hypertension artérielle, de cardiopathie et d’accident vasculaire cérébral[5].
Donc recommander du sel pour assurer une couverture en potassium, souvent inférieur de 2 à 4 fois celle du sodium, est tout simplement une grande bêtise !
Sel et sodium, quelle différence ?
Sur les étiquettes, vous voyez les teneurs en sodium dans les tableaux de « valeur nutritionnelle moyenne » pour 100 g de produit. Sachez que cela n’a rien avoir avec la quantité de sel présente dans l’aliment. C’est important de faire la différence.
Dans 1 g sel pur, il y a 400 mg de sodium et 600 mg de chlore (d’où son nom scientifique de chlorure de sodium). Donc pour savoir combien de sel vous ingérez à partir des taux de sodium des aliments, il suffit de multiplier cette quantité de sodium par 2,5.
Par exemple : votre boîte de biscuits précise 0,47 g de sodium pour 100 g (soit 8 biscuits). Donc si vous mangez 8 biscuits, vous aurez ingéré 0,47 x 2,5 = 1,175 g de sel.
Si vous n’êtes pas convaincu par les sels enrichis, lisez ceci !
Nos mémoires trop courtes ne se souviennent plus de la peur et la honte qui régnaient dans les Alpes (ou d’autres régions pauvres en iode) avec l’épidémie de goitreux et de crétinisme[6]… Pourtant, encore aujourd’hui, 14 % de femmes en Suisse seraient concernées par une carence en iode[7] et je le vérifie régulièrement au cabinet.
Dans une étude comparative réalisée en 2015, 65 % des personnes omnivores, 66 % des personnes végétariennes et 79 % des personnes végétaliennes avaient un apport en iode insuffisant[8].
Un constat à prendre au sérieux lorsque l’on connaît les conséquences d’une carence en iode sur la santé, notamment chez le bébé à naître et chez les enfants, où elle peut entraîner un sous-développement physique et intellectuel[9].
Pour les adultes, une carence légère passera inaperçue avec des symptômes classiques de nos sociétés modernes : baisse d’appétit, fatigue, état dépressif, ralentissement des pulsations cardiaques et baisse de la fécondité.
L’apport conseillé pour une femme enceinte est de 250 microgrammes. Il est essentiel de faire un dosage biologique afin de détecter une éventuelle carence et d’y remédier par une complémentation adaptée (au minimum 150 microgrammes/jour).
Car, une fois de plus, ne comptez pas sur les sels spéciaux ni même le sel marin pour combler vos besoins en iode.
Les premiers ont une teneur en iode nulle ou très faible[10]. Quant au sel marin, une étude de 81 sels marins de différentes parties du monde a montré que leur teneur en iode était en moyenne inférieure à 0,7 μg/g[11].
Pour couvrir les besoins en iode d’un adulte de 200 μg, il faudrait donc ajouter 285 g de sel marin par jour à votre alimentation ! Impossible et dangereux pour la santé[12].
L’alternative est la consommation de sel iodé à 25 mg par kilo, soit une consommation quotidienne de 125 microgrammes d’iode, proches des apports suffisants recommandés de 150 μg pour un adulte.
Pourtant, l’iode est souvent rejeté par les consommateurs occidentaux (ça ne fait pas assez « naturel », un sel enrichi), alors que d’autres pays comme le Pakistan, pays producteur du sel de l’Himalaya, l’ajoutent systématiquement à leur sel[13].
Buvez la tasse (vous éviterez un désastre écologique)
Outre l’absence d’arguments recevables pour consommer des sels spéciaux pour sa santé, force est de constater que ces sels exotiques ont en plus un coût carbone transport bien inutile en regard de leur intérêt[14].
Prenez par exemple le joli sel rose si à la mode en ce moment : il se trouve géographiquement dans les contreforts de l’Himalaya, au Pakistan ; est produit par une armée de pauvres gens dans des conditions précaires[15], acheté à bas prix par les Occidentaux aux producteurs pakistanais[16] et revendus à prix d’émeraude à des consommateurs crédules et aveuglés par de fausses allégations miracles. Pas vraiment écolo, ni humanitaire, ni humain tout court tout ça…
Donc, pour résumer, mes recommandations sont simples :
- Les sels spéciaux ne devraient se consommer qu’à titre exceptionnel et en aucun cas se substituer à notre bon vieux sel de table iodé, moins cher, plus sain pour nous et notre planète.
- Le sel de mer non raffiné, qu’il s’agisse du gros sel ou de la fleur de sel, pourquoi pas, mais sachez simplement qu’il ne faut pas compter dessus pour vous apporter un quelconque apport nutritionnel ou combler vos besoins indispensables en iode
- Si vous n’utilisez pas de sel enrichi en iode, pensez à faire un dosage pour détecter une éventuelle carence et n’hésitez pas à consommer algues ou produits de la mer… ou à boire la tasse si vous passez des vacances à Arcachon !
Sylvain Garraud
Article paru dans RSB n°43, avril 2020.
[1]. Esther Infanger, Max Haldimann, « Report on the composition of prevalent salt varieties », Federal Food Safety and Veterinary Office (FSVO), 2016
[2]. Intersalt Cooperative Research Group, « Intersalt : an international study of electrolyte excretion and blood pressure. Results for 24 hour urinary sodium and potassium excretion », BMJ, 1988
[3]. Mozaffarian D, et al., « Global sodium consumption and death from cardiovascular causes », N. Engl. J. Med., 2014
[4]. www.who.int/mediacentre/news/notes/2013/salt_potassium_20130131/fr/
[5]. www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/salt-reduction
[6]. www.letemps.ch/sciences/liode-cretin-alpes
[7]. https://pages.rts.ch/emissions/abe/8519006-trop-de-sel-pas-assez-d-iode-danger.html
[8]. Schüpbach, Wegmüller, et al., « Micronutrient status and intake in omnivores, vegetarians and vegans in Switzerland », Eur J Nutr, 2017.
[9]. Reuss, Paneth, et al., « The relation of transient hypothyroxinemia in preterm infants to neurologic development at two years of age », N Engl J Med., 1996.
[10]. www.blv.admin.ch/blv/fr/home/dokumentation/nsb-news-list.msg-id-64664.html
[11]. Aquaron A., « Iodine content of non iodized salts obtained from retail markets worldwide », in
Geertman R.M., « Iodized salt for sustaining IDD elimination », 8th World Salt Symposium, Elsevier, 2000.
[12]. www.swissveg.ch/iode?language=fr#f12
[13]. www.nutritionintl.org/fr/2010/12/pakistan-augmenter-quotient-intellectuel-grace-au-sel-iode/
[14]. D’autant qu’une partie de ces sels part en Inde ou en chine en bloc afin de continuer leur transformation
[15]. https://hannibalfrugal.com/sel-rose-de-l-himalaya-utilisation-alimentation-stop/
[16]. 400 000 tonnes pour 50 millions de dollars de recettes : www.youtube.com/watch?v=ijVBa83h6ug