Avec son talent de visionnaire, naturopathe avant l’heure, elle était une personnalité rare qui explorait déjà, il y a un millénaire, cette médecine que l’on appelle désormais holistique, qui prend l’humain en compte dans son ensemble et pas seulement ses symptômes. Micronutrition, olfactothérapie, phytothérapie, nutrition (elle parlait déjà des bienfaits du jeûne intermittent !) et même iridologie… Ses savoirs immenses et avant-gardistes continuent, 1 000 ans plus tard, de surprendre et de nous enseigner aussi beaucoup.
Première naturaliste d’Allemagne
Hildegarde a marqué son temps et l’histoire de la médecine. D’aucuns connaissent son érudition divine faite de visions dictées de l’au-delà. Mais son immense savoir n’aurait pu traverser tant de siècles s’il n’avait pas été associé à un grand travail encyclopédique et à un sens aigu de l’observation. Elle fut d’ailleurs, à ce titre, reconnue comme la première grande naturaliste d’Allemagne.
Les ingrédients sont là pour façonner la légende : spiritualité, science et expérience.
De son regard, elle décrit 300 plantes et des minéraux avec leur usage thérapeutique[1]. Elle s’approprie certains mysticismes magico-religieux en les abordant sous une approche pharmacologique d’époque. Finalement, elle perpétue la tradition séculaire de l’observation comme base de la connaissance.
« Il n’y a pas de maladies, mais des hommes malades »
« Il n’y a pas de maladies, mais des hommes malades… Ils doivent être soignés dans leur totalité, corps et âme… ils trouveront les forces qui soutiennent le processus de guérison. » Tel est son postulat qui résonne encore comme une doctrine éternelle. Cette phrase reste d’ailleurs le principe souverain des pratiques thérapeutiques intégratives[2].
Par intuition divine ou par empirisme, Hildegarde a fortement contribué à notre phytothérapie contemporaine, en basant entre autres sa science sur la grande tradition médicale gréco-romaine antique, qu’elle expérimente avec le savoir de son temps (qui peut aujourd’hui nous paraître obsolète).
Nous pouvons toujours sourire et critiquer l’utilisation des crottes d’hirondelles contre la lèpre ou lutter contre le « grand mal » (l’épilepsie) avec du sang de taupe ; ridiculiser et s’offusquer de réduire du foie de baleine pour améliorer la vue ; accabler la simplicité de la vigne contre l’ivresse[3]… Il reste néanmoins qu’en étudiant la logique de ces remèdes, Hildegarde était une visionnaire intuitive dans la lignée des grands pharmacognosistes[4] depuis Dioscoride.
Hildegarde la micronutritionniste
Pour preuve, s’il l’on reprend l’exemple du foie de Baleine. Le foie est un organe riche en vitamine A, or cette vitamine est essentielle au processus visuel[5]. C’est dans la rétine qu’on l’a isolée la première fois, d’où le nom de « rétinol ».
Le foie de Baleine aurait-il été l’ancêtre du foie de Morue de notre enfance[6] à l’époque d’Hildegarde ? Le prescrire pour la vue était aussi judicieux qu’étrange (les baleines remontaient-elles le Rhin pour aller jusqu’en Allemagne où Hildegarde exerçait ?), tout en étant scandaleux pour l’animal (oui mais, dans dix siècles, qui sait si les morues n’auront pas, elle aussi, disparu ?! L’utilisation de leur foie paraîtrait alors tout aussi scandaleuse aux générations futures).
Ses intuitions vérifiées par la science actuelle
En plus de ces conseils, qui seraient aujourd’hui assimilés à de la micro-nutrition, Hildegarde utilisait plus d’une centaine de plantes toujours selon sa méthode d’équilibre des humeurs issue de la médecine greco-romaine… Mais il faut savoir qu’elle s’est parfois trompée : vingt de ces plantes étaient par exemple très toxiques, dont l’aristoloche, qu’elle conseillait sur la régulation du flux menstruel.
Pourtant, au-delà de certaines recommandations ambiguës venues d’essais empiriques pour le meilleur et pour le pire, Hildegarde a eu quelques intuitions divines ou érudites qui lui ont permis d’enrichir la tradition de l’usage des « simples[7] » d’une belle manière.
Par exemple, l’anis, pour Hildegarde, est employé pour le blocage du flux menstruel, selon elle, la plante « ébranle les humeurs[8] ». Or l’anéthole de l’anis vert est d’une structure chimique analogue au diéthylstilboestrol, hormone de synthèse très œstrogénique[9] !
L’achillée millefeuille, dans les mêmes indications, agira comme un régulateur du flux pour tempérer les grandes plantes régulatrices du cycle menstruel que sont la rue officinale, l’aristoloche et le dictame. Elle aurait compris le rôle hémostatique du lactone, la stachydrine ou encore de l’apigénine comme anti-œstrogénique. Dans cette formule complexe, elle reprend cette grande notion pharmacologiste d’antagoniste et agoniste dans une préparation.
Avec l’olfactothérapie, elle ne s’était pas trompée !
L’olfactothérapie est une invention moderne ? Sûrement le terme, mais pas la technique !
En 2004, une équipe de chercheurs américains a révélé l’existence de récepteurs olfactifs neuronaux dans la muqueuse nasale, et permis de comprendre comment ces cellules percevaient les odeurs et transmettaient l’information au cerveau[10], ce qui avait valu le Prix Nobel de physiologie et de médecine à la biologiste qui avait dirigé les recherches. Un prix qui vient parachever des millénaires d’usage traditionnel de notre nez pour notre équilibre psycho-émotionnel… auquel Hildegarde avait bien sûr participé déjà à son époque !
Elle préconisait par exemple la lavande pour « une connaissance pure et un esprit pur » et la rose contre la colère, à présenter sous la narine.
Et elle avait raison : la lavande, du latin « lavare », laver, purifier, purifie le corps et l’esprit, a aujourd’hui fait ses preuves en tant qu’anxiolytique[11] tandis que la rose est la référence dans le domaine des souffrances du cœur et des amours perdus.
Hildegarde la nutritionniste
En ce qui concerne l’alimentation, Hildegarde aussi était surprenante : elle préconise déjà de nombreuses recettes de biscuits à base d’ « épeautre non hybridé » pour reconstituer l’organisme[12]. Elle le prescrivait dans une diète avec le porc et le vin (de quoi raviver les joyeux sanguins à qui l’on promettait des repas moins gais !). Aurait-elle soupçonné le rôle prébiotique des celluloses et des hémicelluloses ?
Le microbiote de nos contemporains ayant autant de points communs que l’épeautre moderne et celui du Xe siècle, cette céréale aux milles vertus d’époque ne peut aujourd’hui plus être vantée comme une panacée nutritionnelle pour la santé de notre ventre et de notre cerveau.
Pour autant, ses conseils de base du déjeuner sont d’une clairvoyance à saluer : « Pour un homme en bonne santé, il est bon et sain, pour une bonne digestion, qu’il se prive de nourriture, jusqu’au milieu presque de la journée. » Hildergarde évoque ni plus ni moins que les bienfaits du jeûne intermittent[13] !
De même, elle conseille de manger tôt et de faire une petite promenade avant d’aller dormir. Qui ose dire encore qu’il ne savait pas, après cette recommandation vieille de plus de 1 000 ans ?!
Hildegarde l’iridologiste, Sainte Patronne des naturopathes
« Les yeux de l’homme sont une fenêtre de l’âme. » Cette citation, présente dans « Les causes et les remèdes », résume magnifiquement la science de la santé dans le regard baptisée de nos jours iridologie. Elle décrit par exemple « des yeux troubles », annonciateurs de maladie et de mort imminente.
Elle analysait aussi la clarté de la voix de ses « patients », ou la couleur de leur peau.
Elle donnait même déjà à l’époque des conseils de dentiste en conseillant aux hommes de sa laver les dents « souvent avec de l’eau » pour éviter que le « dépôt qui se trouve entre les dents [ne] se développe et augmente de volume »[14].
Hildegarde est aujourd’hui baptisée Sainte Patronne des médecines naturelles. Il n’y a pas lieu de reprendre ses textes et ses formules comme une prière, mais retenons que c’est bien dans l’innovation que nous contribuerons à l’évolution de ce domaine qu’est la naturopathie, dans le respect de la tradition.
Sylvain Garraud
CITATION : « Quand l’âme et le corps fonctionnent en parfaite harmonie, ils reçoivent la récompense suprême de la santé et de la joie », Secrets et remèdes d’Hildegarde de Bingen, Sophie Macheteau, oct. 2016, Rustica éditions.
Article publié RSB n°62
[1]. « Physica – Livre des subtilités des créatures divines Hildegarde de Bingen », traduction de Pierre Monat, Ed. Jérôme Million, 2019.
[2]. Terme actuel à la mode pour dire holistique, global, total etc.
[3]. « Hildegarde de Bingen, les causes et les remèdes », traduction par Pierre Monat, Ed. Jérôme Million, 2019.
[4]. La pharmacognosie est l’étude de médicaments dérivés de sources naturelles
[5]. Saari, « Vitamin A and Vision », Subcell Biochem, 2016.
[6]. Pour les générations du XXe siècle…
[7]. Nom donné au Moyen-Âge aux plantes médicinales.
[8]. https://forcepingouin.files.wordpress.com/2018/12/de-bingen-hildegarde-les-causes-et-les-remecc80des.pdf
[9]. « Traité d’aromathérapie scientifique et médicale – Les huiles essentielles – Fondements et aides à la prescription », Michel Faucon, nov. 2019.
[10]. www.letemps.ch/sciences/percer-mysteres-lodorat-voyant-travers-cerveau
[11]. Tsang, Ho, « A systematic review on the anxiolytic effects of aromatherapy on rodents under experimentally induced anxiety models », Rev Neurosci., 2010
[12]. « Backen nach Hildegard von Bingen: Brot & Brötchen », Kuchen & Gebäck Gebundene Ausgabe, 10. September 2013
[13]. Dong, Sandesara, Dhindsa, et al., « Intermittent Fasting: A Heart Healthy Dietary Pattern? », Am J Med., 2020 Aug.
[14]. https://forcepingouin.files.wordpress.com/2018/12/de-bingen-hildegarde-les-causes-et-les-remecc80des.pdf (page 115)