Après mon article paru en juin, intitulé « Noix de coco : laissez-la sous les tropiques », vous avez été nombreux à réagir, ne comprenant pas qu’on incrimine cette coco qui est pourtant si souvent recommandée dans les régimes santé. Cela méritait donc de plus amples explications !
Eh bien, voici ma réponse !
Nourrir son cerveau avec des graisses ne fait pas de miracle
Depuis l’article du Dr Mary Newport, paru en 2008[1], jusqu’à son livre en 2020[2], la médiatisation autour de l’huile de coco et du régime cétogène mérite qu’on s’interroge sur son efficacité et ses bienfaits sur la santé.
Le régime cétogène recommande d’éviter presque totalement les glucides et de consommer de grandes quantités de graisses, et notamment celle de coco.
Il oblige à passer d’un métabolisme qui puise son énergie principalement du glucose à un métabolisme qui se nourrit d’acides gras, avec la production de corps cétoniques[3] qui peuvent fournir jusqu’à 70 % des besoins énergétiques cérébraux. Cela représente une source d’énergie plus efficace que le glucose[4]. Le principe est d’alimenter en cétone (les graisses) un cerveau devenu « résistant au glucose »[5].
Dans un autre article du Dr Newport daté de 2014[6], il est bien mentionné que l’hypercétonie engendrée par un jeûne prolongé ou un régime cétogène strict très riche en graisses et très pauvre en glucides a des effets métaboliques secondaires importants et que son emploi doit bien prendre en compte le facteur risque/bénéfice.
En dépit de la popularité du régime cétogène, une étude de revue épidémiologique de 2020, qui a passé au crible le régime méditerranéen et cétogénique pour retarder l’évolution des processus dégénératifs[7], a conclu que le régime cétogène ne peut se recommander que dans des cas spécifiques et pour une durée limitée, compte tenu à la fois de l’insuffisance des données disponibles dans les modèles humains (en particulier chez les personnes âgées) et des risques éventuels liés à son utilisation prolongée[8].
« Méditerranisons » nos assiettes
Dans une perspective de 135 millions de personnes qui pourraient souffrir de maladies démentielles dans le monde, l’alternative cétogénique peut avoir son intérêt, sous contrôle médical strict, bien qu’il n’y ait encore aucune preuve solide de l’utilisation de ces régimes pour réduire de manière significative l’incidence de la maladie d’Alzheimer ou d’autres maladies neurodégénératives[9].
Le choix entre des habitudes alimentaires spécifiques devrait être traité avec des approches personnalisées afin de répondre aux besoins nutritionnels individuels.
Il est en revanche certain que le choix d’une alimentation saine (sans suivre de régimes spécifiques) peut améliorer les facteurs de risque de détérioration cognitive – tels que le diabète ou l’athérosclérose – qui peuvent à leur tour réduire le risque de déficience cognitive ou de maladie d’Alzheimer[10].
Pour cela, la diète méditerranéenne reste une valeur sûre, bien plus confortable à adopter que le régime cétogène, et avec des effets significatifs sur l’amélioration cognitive[11] [12].
Coco ou pas coco, un choix cornélien ?
La ferveur marketing autour de la noix de coco est issue de preuves épidémiologiques des populations qui consomment des quantités substantielles de noix de coco sans effets négatifs sur la santé cardiovasculaire.
Les populations indigènes consommaient soit de la chair de noix de coco, soit de la crème de noix de coco pressée[13] dans le cadre d’un régime alimentaire traditionnel qui se caractérisait par une faible consommation d’aliments transformés.
À l’instar d’autres sociétés traditionnelles, les populations indigènes qui se sont tournées vers le régime alimentaire occidental, avec restauration rapide et aliments transformés, ont vu augmenter l’obésité et ses corollaires vers une mauvaise santé[14].
L’hypothèse principale reste que les taux de mortalité plus faibles observés dans les populations consommant de la noix de coco sont dus aux aliments qui constituent le reste de leur régime alimentaire traditionnel (et non uniquement à la consommation de coco).
La consommation de coco dans un cadre thérapeutique devrait être réservée à des cas bien précis d’épilepsie, de cancer ou d’Alzheimer, avec une individualisation de la démarche nutritionnelle vers la voie cétogénique.
Oui mais… et les triglycérides alors ?!
Les triglycérides constituent la plus grosse partie des graisses que nous absorbons. Ils sont découpés en morceaux par les lipases pancréatiques – les enzymes qui permettent la digestion des graisses – avant de passer dans le sang à l’aide de l’émulsion biliaire.
Les triglycérides à chaîne moyenne (TCM), de par leur caractéristique physique, sont métabolisés plus rapidement et constituent donc une source d’énergie disponible rapidement[15].
Pour les sportifs, l’épilepsie et Alzheimer…
Les TCM, comme source d’énergie cellulaire facilement et rapidement mobilisable, sont utilisés dans le domaine médical, en alimentation intraveineuse. Ils sont aussi utilisés dans le domaine sportif, toujours comme source d’énergie à action rapide. Ils sont aussi reconnus comme base constituante d’un régime cétogène dans le cadre d’un traitement épileptique[16], Alzheimer ou le cancer.
Non, l’huile de coco n’a pas les bienfaits des TCM…
Les bénéfices santé des triglycérides à chaîne moyenne (TCM) ne peuvent pas être extrapolés à l’huile de coco, voici pourquoi (accrochez-vous c’est un peu technique).
Tout d’abord, seuls 4 % des triglycérides présents dans l’huile de noix de coco peuvent être considérés comme étant à chaîne moyenne (de par le nombre de carbones qu’ils contiennent).
Ensuite, les triglycérides contenant de l’acide laurique, principal acide gras de l’huile de noix de coco, ont un poids moléculaire plus élevé et sont métabolisés différemment des triglycérides à chaîne moyenne qui n’en contiennent pas.
C’est ce poids moléculaire plus faible des triglycérides à chaîne moyenne qui facilite l’action de la lipase pancréatique : ils sont assimilés plus rapidement et plus complètement que les triglycérides à chaîne longue[17].
…mais elle contient un agent antiviral pour nos intestins
Cela dit, l’acide laurique en tant que tel possède déjà des bienfaits sur lesquels il est intéressant de se pencher, et notamment l’un de ses composés : la monolaurine, présente dans l’huile de coco donc, mais également dans le lait maternel.
Une étude publiée dans la sérieuse revue Nature, en 2019, a comparé l’activité antimicrobienne du lait maternel naturellement riche en monolaurate de glycécol (monolaurine) et les préparations à base de lait de vache pour nourrissons.
En retirant la monolaurine du lait maternel humain, celui-ci perdait son activité antimicrobienne contre Staphylococcus aureus (mais pas les autres) et lorsqu’ils ont ajouté de la monolaurine au lait de vache, il est devenu antimicrobien. Ils ont donc conclu que le lait maternel naturellement riche en monolaurine avait une activité inhibitrice contre les bactéries pathogènes[18].
De même, une autre étude clinique de 2019 démontre que l’acide laurique agirait comme un modulateur de la santé intestinale[19].
Doit-on pour autant se mettre à consommer de l’huile de coco pour son activité anti-infectieuse ?
Cela reste une graisse saturée exotique
L’ajout de l’acide laurique dans les laits maternisés serait une bonne initiative afin de se rapprocher de la composition optimale et protectrice du lait maternel. Le mieux reste bien évidemment l’allaitement[20].
En revanche, il ne faudrait pas extrapoler l’activité issue d’un dérivé de l’acide laurique – certes reconnu comme antimicrobien et antiviral[21] contre les virus enveloppés[22] (coronavirus, Ebola…) – à une consommation d’huile à graisses saturées quasi-exclusive à des fins thérapeutiques antibactériennes et antivirales. Cela reste une huile à graisse saturée quasi-exclusive, responsable de maladies cardiovasculaires[23].
La coco reste la base nutritionnelle des populations indigènes des pays des cocotiers. Exploiter cette filière à grande rentabilité économique pour certaines raisons de santé discutables est difficilement justifiable. Cela contribue surtout à une mondialisation des marchandises et un modèle sociétal générateur de maladies et de pandémies[24], bien loin des enjeux d’un développement personnel orienté vers un bien-être, non pas individualiste mais collectif et responsable, face aux grands enjeux environnementaux de notre époque.
Sylvain Garraud
[1]. Dr Mary Newport, « What If There was a Cure for Alzheimer’s Disease and No One Knew? », A Case Study, July 22, 2008. https://cocos.com.sg/wp-content/uploads/2018/07/What-if-there-was-a-cure-for-Alzheimers-Disease-and-no-one-knew-Dr.-Mary-Newport.pdf
[2]. Mary Newport, « Alzheimer, Parkinson : le pouvoir thérapeutique du régime cétogène huile coco », paru le 18 février 2020, Ed. Josette Lyon.
[3]. Wlodarek, « Role of Ketogenic Diets in Neurodegenerative Diseases (Alzheimer’s Disease and Parkinson’s Disease) », Nutrients, 2019.
[4]. Veech, Chance, Kashiwaya, Lardy, Cahill, « Ketone bodies, potential therapeutic uses », IUBMB Life, 2001.
[5]. Talbot, Wang, et al., « Demonstrated brain insulin resistance in Alzheimer’s disease is associated with IGF-1 resistance, IRS-1 dysregulation, and cognitive decline », J Clin Invest., 2012.
[6]. Newport, VanItallie, et al., « A new way to produce hyperketonemia: use of ketone ester in a case of Alzheimer’s disease », Alzheimers Dement, 2015
[7]. Vinciguerra, Graziano, Hagnäs et al., « Influence of the Mediterranean and Ketogenic Diets on Cognitive Status and Decline: A Narrative Review », Nutrients, 2020
[8]. Wlodarek, « Role of Ketogenic Diets in Neurodegenerative Diseases (Alzheimer’s Disease and Parkinson’s Disease) », Nutrients, 2019
[9]. George, Dangour, Smith, Ruddick, Vellas, Whitehouse, « The role of nutrients in the prevention and treatment of Alzheimer’s disease », Eur. J. Neurol., 2009.
[10]. Vinciguerra, Graziano, Hagnäs et al., « Influence of the Mediterranean and Ketogenic Diets on Cognitive Status and Decline: A Narrative Review », Nutrients, 2020
[11]. Petersson, Philippou, « Mediterranean Diet, Cognitive Function, and Dementia », Adv. Nutr., 2016.
[12]. Marseglia, Xu, et al., « Effect of the NU-AGE Diet on Cognitive Functioning in Older Adults », Front. Physiol., 2018.
[13]. Tanhope, Sampson, Prior, « The Tokelau Island Migrant Study: serum lipid concentration in two environments », J Chronic Dis., 1981.
[14]. DiBello, McGarvey, Kraft, et al., « Dietary patterns are associated with metabolic syndrome in adult Samoans », J Nutr., 2009
[15]. https://icarweb.fr/IMG/pdf/1-07.pdf
[16]. https://www.chuv.ch/fileadmin/sites/cms/documents/le_re__769_gime_ce__769_toge__768_ne_final.pdf
[17]. Bach, Babayan, « Medium-chain triglycerides: an update », Am J Clin Nutr., 1982.
[18]. Schlievert, Kilgore, Seo et al., « Glycerol Monolaurate Contributes to the Antimicrobial and Anti-inflammatory Activity of Human Milk », Sci Rep 9, 2019.
[19]. Matsue, Mori, Nagase, et al., « Measuring the Antimicrobial Activity of Lauric Acid against Various Bacteria in Human Gut Microbiota Using a New Method », Cell Transplant., 2019
[20]. Fernández, Langa, Martín, et al., « The human milk microbiota: origin and potential roles in health and disease », Pharmacol Res., 2013
[21]. Lieberman, Enig, Preuss, « Alternative and Complementary Therapies », Dec 2006
[22]. Thormar, Isaacs, Brown, Barshatzky, Pessolano, « Inactivation of enveloped viruses and killing of cells by fatty acids and monoglycerides », Antimicrob Agents Chemother, 1987
[23]. Sacks, Lichtenstein, Wu, et al., « Dietary Fats and Cardiovascular Disease: A Presidential Advisory From the American Heart Association », Circulation, 2017.
[24]. Philippe Descamps, Thierry Lebel, « Un avant-goût du choc climatique », Le monde diplomatique, Mai 2020.