La théorie de l’effondrement s’applique aussi à notre microbiote. Selon l’Indice Planète Vivante (IPV), entre 1970 et 2016, la taille moyenne des populations de vertébrés sauvages a décliné de 68 %. Autrement dit, en moins d’un demi-siècle, les effectifs de plus de 20 000 populations de mammifères, d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et de poissons ont chuté des deux tiers[1] ! Qui pourrait encore croire que nos amis les microbes ne seraient pas aussi des victimes collatérales ?
Appauvrissement de génération en génération
La diversité microbienne, à l’instar de la diversité biologique, est en danger. Les changements persistants de la composition de notre microbiote entraînent une perte progressive de sa diversité au fil des générations[2]. Nous perdons des souches essentielles. Cela se constate en comparant le microbiote des communautés rurales non industrialisées à celui des populations occidentales[3]. Nos microbiotes sont comme nos aliments : ils s’appauvrissent de génération en génération.
Une assurance santé sur le point d’être résiliée
Le microbiote humain est l’un des principaux acteurs responsables d’une homéostasie saine, robuste et résiliente. Les bactéries qui le composent sont nos amies : elles jouent un rôle essentiel dans le développement et la régulation du système immunitaire, de notre métabolisme et des fonctions cérébrales[4] face à une augmentation continue des maladies inflammatoires[5], asthmes[6] et d’autres maladies multifactorielles métaboliques, auto-immunes, dégénératives[7].
Notre microbiote est notre assurance santé ! Et elle est sur le point d’être résiliée.
Comment expliquer ce phénomène ?
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Antibiothérapie, l’inquiétant danger
Une étude sur l’impact de la prise de Ciprofloxacine – le grand classique de l’infection urinaire – montre que la prise d’antibiotiques a modifié le microbiote par rapport à son état initial et mentionne clairement que les conséquences complètes restent inconnues.
Loin de céder aux sirènes de la peur sur les conséquences exagérées de la résistance aux antibiotiques[8], elle pourrait affaiblir la résilience de notre microbiote et conduire à son appauvrissement, avec toujours des conséquences imprévisibles dans la coévolution bactérienne de la santé humaine et aussi animale[9].
Il est donc nécessaire de s’interroger sur les conséquences du milliard de tonnes d’antibiotiques qui ont été produits depuis 1940[10]… ainsi que sur le rôle de l’environnement (on parle également d’un microbiote environnemental) dans le développement et la propagation des gènes de résistance aux antibiotiques[11].
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Cyanobactérie, le grand génocide
Les cyanobactéries contribuent pour plus de 25 % à la production d’oxygène et à la fixation du dioxyde de carbone sur Terre. Elles sont sensibles à la plupart des antibiotiques et contiennent des éléments génétiques mobiles qui pourraient faciliter l’acquisition d’une résistance aux antibiotiques. On ignore là encore les conséquences sur ces organismes et l’oxygène…
Il est connu qu’une faible exposition aux antibiotiques suffit à influencer la biologie des plantes en affectant leur germination, leur habilité à se reproduire et leur diversité[12]. Des effets ont d’ailleurs été observés au niveau des mitochondries (présentes dans certaines cellules) et les chloroplastes (éléments des cellules de plantes vertes contenant la chlorophylle), qui pourraient probablement évoluer vers une résistance aux antibiotiques[13].
Le risque possible est le remplacement d’une partie des espèces naturelles sensibles aux antibiotiques par d’autres organismes intrinsèquement résistants aux antibiotiques ou par des variantes sélectionnées[14].
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Malbouffe, loin d’être innocente
Il est connu que les fibres fermentescibles sont un élément clé de la diversité et la richesse du microbiote[15]. Il est moins connu qu’un régime à faible teneur en « fibres » entraîne une perte progressive de diversité qui ne peut être récupérée par la réintroduction de glucides fermentescibles alimentaires.
Les souches de bactéries, appelées taxons, devenues rares sont transférées de manière inefficace à la génération suivante et risquent davantage de s’éteindre au sein d’une population isolée. Seule la réintroduction de taxon, avec la consommation suffisante de glucides dits « facilement accessibles à notre microbiote » (abondants dans les céréales complètes, les légumes, les noix…) peut permettre de retrouver l’équilibre[16]. Le problème est que ces taxons pourraient disparaître avant d’être connus et compris[17]…
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Hygiène : le tueur de microbes
L’excès d’hygiène a limité notre interaction avec les bactéries de notre environnement alors que la majorité d’entre elles sont bénéfiques pour notre microbiote[18]. Un tel manque de réapprovisionnement en microbes a été corrélé avec une fragilité immunitaire et une augmentation des marqueurs inflammatoires. Une étude de 2012 montre clairement une corrélation entre le lieu de vie des personnes âgées, leur structure microbienne, l’état nutritionnel et l’état de santé[19].
D’ici 2050, certains prédisent que les deux tiers de la population humaine mondiale vivront dans des zones urbaines avec peu d’espaces verts et un contact limité avec la nature et la biodiversité[20]. Les conséquences seront désastreuses pour nos microbiotes qui seront affaiblis, autant par la transmission dite « verticale » (la richesse bactériologique transmise par la mère à son nourrisson)[21], que par la transmission dite « horizontale » (transmise par notre environnement), car vivant dans des environnements malsains[22].
La santé ne peut s’envisager qu’à l’échelle de la planète !
Plus d’allergies et de maladies inflammatoires
En analysant la disposition allergique dans un échantillon aléatoire d’adolescents vivant dans une région de 15 000 km2, une étude de 2022 a montré que les individus sujets à des allergies de peau présentaient à la fois une biodiversité environnementale plus faible dans les environs de leur domicile et une diversité de bactéries significativement plus faible sur leur peau.
Les bactéries en question favorisent une cytokine anti-inflammatoire clé dans la tolérance immunologique. Ces résultats soulèvent des questions fondamentales sur les conséquences de la perte de biodiversité tant pour les affections allergiques, pour les maladies inflammatoires, que pour la santé publique en général[23].
Les espaces verts sont vitaux
Peuples urbains, ne perdez pas l’espoir : les espaces verts urbains ont des interactions bénéfiques avec les microbiotes humains. Il a été démontré que l’exposition aux espaces verts augmente la diversité du microbiote cutané et nasal[24].
Vivre à proximité d’environnements naturels a été lié à la santé mentale en partie par le contact avec le microbiote environnemental[25].
Prenons le cas du Covid
Comprendre les maladies dites zoonotiques, c’est-à-dire qui peuvent se transmettre entre espèces animales et humaines, nécessite de connaître le microbiome humain et plus largement les écosystèmes microbiens non humains (plantes, eau, sols…)[26].
Par exemple, il a été récemment suggéré que la co-infection avec un certain type de vers parasites, les helminthes, transmis par le sol, peut supprimer la réponse inflammatoire lors d’une infection par le SRAS-CoV-2, donc potentiellement jouer un rôle dans la gravité de la maladie[27].
L’équilibre et la résilience de notre écosystème intestinal et de son microbiote sont interconnectés et interdépendants de l’équilibre et la résilience de l’environnement naturel au sens large.
L’effondrement, réalité inévitable ?
L’étude de l’évolution du microbiote humain transgénérationnel a bien démontré la perte de la résilience et de la robustesse des microbiotes intestinaux humains sains. Nous sommes bien au bord d’un effondrement catastrophique au niveau des populations, entraînant un déclin fonctionnel des écosystèmes intestinaux.
La logique de traitement thérapeutique sur le niveau individuel par le biais d’approches personnalisées est insuffisante. Il est impératif d’adopter une vision plus large. Le concept de santé planétaire met en relief la relation symbiotique entre la santé humaine et les écosystèmes environnementaux : notre microbiote n’est finalement que l’un des écosystèmes au cœur de la complexité du vivant. Plus que jamais, nous ne pouvons être soignés indépendamment de la planète[28] : One health[29] !
Sylvain Garraud
[1]. Almond, Grooten et Petersen, « Bending the curve of biodiversity loss », WWF – Living Planet Report, 2020, Gland, Suisse
[2]. Sonnenburg, Smits, Tikhonov, et al., « Diet-induced extinctions in the gut microbiota compound over generations », Nature, 2016
[3]. Yatsunenko, Rey, Manary, et al., « Human gut microbiome viewed across age and geography », Nature, 2012 May
[4]. Hill, Round, « SnapShot: Microbiota effects on host physiology », Cell, 2021 May
[5]. Bach Knudsen, Lærke, et al., « Impact of Diet-Modulated Butyrate Production on Intestinal Barrier Function and Inflammation », Nutrients, 2018 Oct.
[6]. von Mutius, Smits, « Primary prevention of asthma: from risk and protective factors to targeted strategies for prevention », Lancet, 2020 Sep.
[7]. Carding, Verbeke, et al., « Dysbiosis of the gut microbiota in disease », Microb Ecol Health Dis., 2015.
[8]. Discréditer les anciens antibiotiques pour justifier la création de nouveaux, exagération des effets toxiques des anciens, la résistance aux antibiotiques s’appuie sur la logique peur/marketing (Baquero, 2021)
[9]. Baquero, « Threats of antibiotic resistance: an obliged reappraisal », Int Microbiol., 2021
[10]. Serwecińska, « Antimicrobials and antibiotic-resistant bacteria: a risk to the environment and to public health », Water, 2020
[11]. Thakur, Gray, « The Mandate for a Global « One Health » Approach to Antimicrobial Resistance Surveillance », Am J Trop Med Hyg., 2019
[12]. Minden, Deloy, Volkert, et al., « Antibiotics impact plant traits, even at small concentrations », AoB Plants, 2017.
[13]. Wang, Ryu, Houtkooper, « Antibiotic use and abuse: a threat to mitochondria and chloroplasts with impact on research, health, and environment », BioEssays, 2015.
[14]. Baquero, « Threats of antibiotic resistance: an obliged reappraisal », Int Microbiol., 2021
[15]. Johnson, Vangay, et al., « Daily Sampling Reveals Personalized Diet-Microbiome Associations in Humans », Cell Host Microbe, 2019 Jun.
[16]. Sonnenburg, Smits, « Diet-induced extinctions in the gut microbiota compound over generations », Nature, 2016
[17]. lliams, Howe, Hofmockel, « Demonstrating microbial co-occurrence pattern analyses within and between ecosystems », Front. Microbiol., 2014
[18]. Bach, « Revisiting the hygiene hypothesis in the context of autoimmunity », Front. Immunol., 2021
[19]. Claesson, Jeffery, et al., « Gut microbiota composition correlates with diet and health in the elderly », Nature, 2012.
[20]. United Nations World Urbanization Prospects: 2014 Highlights (United Nations, New York, 2014).
[21]. Rnänen, Karkman, et al., « Maternal gut and breast milk microbiota affect infant gut antibiotic resistome and mobile genetic elements », Nat. Commun., 2018.
[22]. Dethlefsen, Relman, « Incomplete recovery and individualized responses of the human distal gut microbiota to repeated antibiotic perturbation », Proc Natl Acad Sci USA, 2011 Mar.
[23]. Tokue, Koga, Nakamura, et al., « Effects of hearing diverse orthoptera sounds on human psychology », Urban Forestry & Urban Greening, 2022.
[24]. Selway, Mills, et al., « Transfer of environmental microbes to the skin and respiratory tract of humans after urban green space exposure », Environ Int., 2020 Dec.
[25]. Flandroy, Poutahidis, et al., « The impact of human activities and lifestyles on the interlinked microbiota and health of humans and of ecosystems », Sci Total Environ., 2018 Jun.
[26]. Larsen, van de Burgwal, « On the Verge of a Catastrophic Collapse? The Need for a Multi-Ecosystem Approach to Microbiome Studies », Front Microbiol., 2021
[27]. Cepon-Robins, Gildner, « Old friends meet a new foe: A potential role for immune-priming parasites in mitigating COVID-19 morbidity and mortality », Evol. Med. Public Health, 2020
[28]. James Hillman
[29]. van Bruggen, Goss, et al., « One Health – Cycling of diverse microbial communities as a connecting force for soil, plant, animal, human and ecosystem health », Sci Total Environ., 2019 May