Ils sont moins connus que les gangsters d’Al Capone, et pourtant ils sont les terreurs du Bronx de notre intestin ! Il y a des affranchis, des petits voyous et des grands caïds. Bienvenue dans le monde fascinant des bactéries intestinales…
Dans cette guerre des gangs, il y a les « parrains » qui savent allier leur puissance pour mieux déstabiliser nos défenses immunitaires. Il y a aussi des bactéries qui sont étiquetées « ennemies » alors qu’elles jouent un rôle déterminant dans notre équilibre. Certaines jouent même le rôle « d’agent double » : considérées comme amies, elles passent soudain du côté obscur pour semer l’anarchie.
Tout cela est normal et contribue à l’homéostasie intestinale, c’est-à-dire le bon équilibre de nos intestins, avec des bons, des brutes et des truands…
Mais le problème est que nos systèmes de défense peuvent s’affaiblir lorsque certaines familles de bactéries prennent le dessus sur d’autres. La démocratie de notre intestin est alors menacée par des gangs de plus en plus armés et stratégiques.
Pas sûr que nous échapperons à leur guérilla, mais au moins, apprenons à les connaître pour assurer un minimum de coexistence.
La revanche de l’infiniment petit
Il nous a fallu une pandémie pour que se rappellent à notre bon souvenir les maladies infectieuses, même si celle-ci semble déjà faire partie du passé, laissant ouvertes les questions essentielles autour des enjeux sanitaires et environnementaux[1]. Une autre menace insidieuse, victime de notre amnésie collective, ne s’arrêtera pas avec de simples mesures sanitaires : la résistance aux antibiotiques[2].
Les chiffres font froid dans le dos. Actuellement, 700 000 personnes meurent chaque année dans le monde à cause d’une infection résistante aux antibiotiques. Les maladies résistantes aux médicaments pourraient être responsables de 10 millions de décès chaque année d’ici à 2050 et causer des dommages économiques aussi catastrophiques que la crise financière mondiale de 2008-2009. D’ici à 2030, l’antibiorésistance pourrait faire basculer jusqu’à 24 millions de personnes dans l’extrême pauvreté[3].
Comment ces organismes à l’origine de la vie sur Terre sont-ils en passe de devenir une menace majeure de l’humanité ?
Trois stratégies « secrètes » de bactéries pour nous coloniser
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Un bouclier indestructible
Pour résister aux attaques, certaines bactéries sont capables de créer un biofilm. Un biofilm représente une communauté de microbes qui s’enferme dans une matrice de polymères qu’elle sécrète, sorte de bouclier quasi indestructible qui la protège face à nos globules blancs et aux antibiotiques.
Or cette communauté de bactéries n’a rien de pacifique !
Les bactéries bénéficient d’une coopération physiologique et d’une meilleure organisation spatiale qui augmente leur efficacité métabolique et leur résistance aux stress de l’environnement et aux réponses immunitaires de l’hôte. Ce mécanisme de solidarité opportuniste leur permet de résister en milieu hostile, en vivant « au ralenti »[4].
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Les pompes d’efflux : la détox des bactéries
Nous ne pouvons qu’être admiratifs devant la faculté d’adaptation des bactéries pour assurer leur existence.
L’étude de Du de 2018, publiée dans la prestigieuse revue Nature, explicite l’extraordinaire habileté des bactéries à se débarrasser des substances toxiques.
Grâce à un système appelé « pompes d’efflux », elles sont capables d’éliminer les antibiotiques ou autres déchets dans leur environnement, ce qui contribue à augmenter leur virulence[5]. Autrement dit, elles se détoxifient !
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Le transfert de plasmides : d’ami à ennemi
Prenons l’exemple d’Escherichia coli. Cette bactérie est une mutualiste dominante de notre flore résidente avec un rôle clé dans la résistance contre les pathogènes et la synthèse de la vitamine K[6].
Dans notre environnement quotidien, nous sommes constamment exposés à d’autres Escherichia coli par de nombreux vecteurs comme les téléphones portables, particulièrement efficaces dans la propagation des bactéries résistantes[7].
Certaines bactéries sérotypes d’Escherichia parviendront dans notre univers bactérien. Nos défenses s’activeront et les indésirables seront éliminés. Dans certains cas, l’ADN résistant des hôtes introduits pourra être échangé avec les bactéries résidentes par un processus nommé « transfert de plasmides ». Celui-ci induira alors une résistance et rendra la bactérie pathogène[8]. Ce mécanisme n’est qu’un des nombreux moyens d’un changement de statut vers la pathogénicité[9].
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Le système de défense « anti-antibiotique »
D’autres mécanismes de résistance sont connus, notamment enzymatiques. La bactérie peut produire une enzyme qui modifie ou détruit l’antibiotique : par exemple les bêta-lactamases qui inhibent les bêta-lactamines (dérivés de la pénicilline).
Or une étude publiée en 2014 a estimé qu’environ 600 milliards d’Escherichia coli multirésistantes (béta-lactamases à spectre étendu BLSE) étaient déversées chaque jour dans la rivière du Doubs à Besançon[10].
De plus en plus d’infections sont devenues résistantes aux antibiotiques. Cela se traduit par une augmentation de la demande de prise en charge des infections récidivantes au cabinet.
Pour autant, ces microbes sont-ils vraiment des ennemis ?
Vous reprendrez bien un petit ver… intestinal !
Le cas des helminthes (vers intestinaux) et de la maladie de Crohn est particulièrement significatif. Un d’entre eux, l’oxyure, a probablement largement contribué aux contes et légendes de la pleine lune. Son cycle de reproduction est d’environ trois semaines, comme celui la lune. Cauchemars, bruxisme (dents qui grincent), insomnies, agitation, nervosité sont autant de signes cliniques évocateurs.
Si votre enfant a un comportement de Loup-garou pendant cette période, pensez à cette infection. Une étude de 2017 montre le rôle positif de ces indésirables dans les maladies inflammatoires intestinales[11].
La maladie de Crohn est classiquement associée à une réponse immunitaire de type T-helper (Th1) excessive. Or les helminthes empêchent le développement d’une réponse Th1, induisent un profil cytokinique de type Th2 et stimulent les lymphocytes T-régulateurs. La cure d’helminthes avec des produits dérivés sécrétoires est une solution sérieusement envisagée[12].
Helicobacter, je t’aime moi non plus
Cette bactérie est présente chez plus de 50 % de la population mondiale. Elle est à l’origine d’une inflammation chronique avec atteintes métaplasiques et est associée à la gastrite chronique, à l’ulcère gastro-duodénal jusqu’aux tumeurs malignes gastriques[13].
Paradoxalement (en apparence), plusieurs études ont confirmé son potentiel de protection dans certaines maladies inflammatoires intestinales (MICI). Il a été trouvé une plus faible prévalence de la maladie de Crohn chez les patients H. pylori-positifs que chez les patients H. pylori négatifs[14].
Par quels mécanismes ? Immunitaires, encore une fois… Il a été démontré qu’Helicobacter pylori produit de l’interleukine-18, une substance provoquant l’accumulation de cellules particulières qui contribuent à supprimer le processus inflammatoire.
Les infections ont-elles un sens ?
La question doit se poser !
Nous allons retrouver, autour de ce débat épineux, d’un côté les convaincus pasteuriens et de l’autre les afficionados de Claude Bernard qui, sous couvert d’une certaine autorité et de références scientistes, argueront leurs convictions.
Il va de soi que ni l’une ou l’autre de ces pensées radicales ne détient la vérité. Je citerai le Pr Ali Saïb : « Une infection virale est une relation, ou plutôt un équilibre à deux, entre le virus et l’organisme hôte, orchestré par le système immunitaire. Lorsque l’équilibre est rompu, la pathologie apparaît. » Nous retrouvons ainsi tous l’enjeu de se préoccuper autant de l’infection que de nos défenses immunitaires.
Antibio vs. aroma ? Le cas classique de l’infection urinaire
Les infections des voies urinaires constituent un grave problème de santé publique. Les huiles essentielles peuvent constituer une stratégie intéressante et efficace avant le recours à des antibiothérapies systématiques et le risque d’engendrer des résistances[15].
Une étude clinique d’un urologue, présentée au dernier congrès de phyto-aromathérapie, abonde dans ce sens : 79 % des patients d’un âge moyen de 84 ans n’auront pas recours aux antibiotiques après un protocole d’aromathérapie ciblé[16]. La pluralité d’action des huiles essentielles, en particulier les phénols[17] et le cinnamaldéhyde[18] qu’elles contiennent, possèdent un intérêt prouvé contre les biofilms pathogènes du système urinaire.
Leur mode d’action et les mécanismes cellulaires multiples de ces huiles essentielles sont différents de celui des antibiotiques à cible unique. Cela impliquerait-il que les huiles essentielles ne sont pas victimes de l’ingéniosité des bactéries à les rendre inoffensives ?
L’aromarésistance est une réalité !
La thèse d’Alexandre Tétard a jeté un pavé dans la mare aux certitudes. Les fonctions aldéhydes du citral et même du cinnamaldéhyde de l’huile essentielle d’écorce de cannelle de Ceylan ou de Chine, peuvent induire une augmentation de la résistance de Pseudomonas aeruginosa aux antibiotiques !
L’équipe de bactériologie médicale de l’UMR Chrono-Environnement de Besançon a montré que les aldéhydes pouvaient activer la surproduction des pompes d’efflux de Pseudomonas aeruginosa et ainsi augmenter sa résistance aux antibiotiques. Les bactéries savent aussi rejeter les huiles essentielles, en l’occurrence celle de cannelle, reconnue comme étant l’une des plus antimicrobiennes.
Cette bactérie peut aussi transformer le cinnamaldéhyde en alcool cinnamique, un métabolite moins toxique. Pire, la combinaison chimique des aldéhydes avec les groupements aminés de certains antibiotiques (aminosides et colistine) bloque totalement leur activité, empêchant leur pénétration à travers la membrane bactérienne[19].
Comment bien utiliser les huiles essentielles pour éviter les résistances (en 6 leçons)
Cette information doit simplement nous ramener à une évidente vérité, celle du doute et de l’absence de certitude. J’ai fait mienne cette citation de Claude Bernard : « La seule certitude que j’ai… c’est ne pas avoir de certitudes. »
Il ne s’agit pas de jeter les huiles essentielles dans l’eau du bain, seulement de ne pas les croire surpuissantes.
Nous devons appréhender le vivant dans sa complexité, avec humilité, en accueillant toutes les sources de savoirs possibles qui nous permettent d’aider à l’expression de cette vie que nous devons dignement respecter, d’autant plus comme thérapeute.
Jean Michel Morel, dans sa dernière conférence à ce sujet, duquel je me suis inspiré en partie dans cet article, nous invite au respect de certaines règles de prescriptions que je cautionne en aromathérapie clinique :
- Éviter l’improvisation.
- Éviter les traitements continus, varier les formulations pour éviter la mise en place de mécanismes de tolérance de la part des germes.
- Pas de traitements prolongés, faire des fenêtres thérapeutiques.
- Les mélanges d’HE, sans redondances, sont plus appropriés que les unitaires (3 à 4 HE maxi), les associations améliorant la stabilité.
- Utiliser de préférence le totum de la plante.
- Éviter la co-administration antibiotique + HE pour prévenir des interactions non maîtrisées. Les antibiothérapies peuvent être une solution à envisager en fonction de la nature, de l’intensité et du risque de votre situation.
Une dernière règle importante
J’ajouterai une dernière règle : privilégiez une approche holistique.
Reprenons l’exemple de l’infection urinaire. Les huiles essentielles en mélange sont une alternative crédible à l’antibiothérapie systématique. Ajoutons à cela d’autres techniques telles que : probiotiques modulateurs de la réponse immunitaire, polyphénols spécifiques[20], prise en charge des déficits micronutritionnels, gestion du stress, conseils nutritionnels ciblés, hygiène de vie, etc.
Nous sortons ainsi du cadre réducteur d’une médecine de substitution par les huiles essentielles pour s’insérer dans une démarche holistique prenant en compte l’ensemble des facteurs de santé : 89 % de la santé se produit en dehors de l’espace clinique, à travers notre génétique, notre comportement, notre environnement et notre situation sociale[21].
Il est urgent de cesser de considérer la santé comme une guerre face à des ennemis qui seront toujours plus nombreux et mieux organisés. Le combat est perdu d’avance.
Sylvain Garraud
[1]. Jones, K. E. et al. Global trends in emerging infectious diseases. Nature 451, 990–993 (2008).
[2]. https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/antibiotic-resistance
[3]. https://www.who.int/fr/news/item/29-04-2019-new-report-calls-for-urgent-action-to-avert-antimicrobial-resistance-crisis
[4]. Lebeaux D, Ghigo JM, Beloin C. Biofilm-related infections: bridging the gap between clinical management and fundamental aspects of recalcitrance toward antibiotics. Microbiol Mol Biol Rev. 2014 Sep;78(3):510-43. doi: 10.1128/MMBR.00013-14. PMID: 25184564; PMCID: PMC4187679.
[5]. Du, D., Wang-Kan, X., Neuberger, A. et al. Multidrug efflux pumps: structure, function and regulation. Nat Rev Microbiol 16, 523–539 (2018). https://doi.org/10.1038
[6]. Suvarna K, Stevenson D, Meganathan R, Hudspeth MES. Menaquinone (Vitamin K2) Biosynthesis: Localization and Characterization of the menA Gene from Escherichia coli. J Bacteriol. 1998. May;180(10):2782–7.
[7]. Pal S, Juyal D, Adekhandi S, Sharma M, Prakash R, Sharma N, et al. Mobile phones: Reservoirs for the transmission of nosocomial pathogens. Advanced biomedical research. 2015;4.
[8]. Martinson JNV, Walk ST. Escherichia coli Residency in the Gut of Healthy Human Adults. EcoSal Plus. 2020 Sep;9(1):10.1128/ecosalplus.ESP-0003-2020. doi: 10.1128/ecosalplus.ESP-0003-2020. PMID: 32978935; PMCID: PMC7523338.
[9]. Bärbel Stecher, David Berry, Alexander Loy, Colonization resistance and microbial ecophysiology: using gnotobiotic mouse models and single-cell technology to explore the intestinal jungle, FEMS Microbiology Reviews, Volume 37, Issue 5, September 2013, Pages 793–829, https://doi.org/10.1111/1574-6976.12024
[10]. Brechet C, Plantin J, Sauget M, Thouverez M, Talon D, Cholley P, et al. Wastewater treatment plants release large amounts of extended-spectrum b- lactamaseeproducing Escherichia coli into the environment. Clin Infect Dis2014;58:1658e65.
[11]. Sipahi AM, Baptista DM. Helminths as an alternative therapy for intestinal diseases. World J Gastroenterol. 2017 Sep 7;23(33):6009-6015. doi: 10.3748/wjg.v23.i33.6009. PMID: 28970717; PMCID: PMC5597493.
[12]. Maruszewska-Cheruiyot M, Donskow-Łysoniewska K, Doligalska M. Helminth Therapy: Advances in the use of Parasitic Worms Against Inflammatory Bowel Diseases and its Challenges. Helminthologia. 2018 Jan 27;55(1):1-11. doi: 10.1515/helm-2017-0048. PMID: 31662622; PMCID: PMC6799527.
[13]. Lahat A, Kopylov U, Neuman S, Levhar N, Yablecovitch D, Avidan B, Weiss B, Ben-Horin S, Eliakim R; on behalf of the Israeli IBD research Network (IIRN). Helicobacter pylori prevalence and clinical significance in patients with quiescent Crohn’s disease. BMC Gastroenterol. 2017 Feb 13;17(1):27. doi: 10.1186/s12876-017-0588-7. PMID: 28193167; PMCID: PMC5307850.
[14]. Bartels LE, Jepsen P, Christensen LA, Gerdes LU, Vilstrup H, Dahlerup JF. Diagnosis of Helicobacter Pylori Infection is Associated with Lower Prevalence and Subsequent Incidence of Crohn’s Disease. J Crohns Colitis. 2016 Apr;10(4):443-8. doi: 10.1093/ecco-jcc/jjv229. Epub 2015 Dec 16. PMID: 26674958; PMCID: PMC4946761
[15]. Flores-Mireles AL, Walker JN, Caparon M, Hultgren SJ. Urinary tract infections: epidemiology, mechanisms of infection and treatment options. Nat Rev Microbiol. 2015 May;13(5):269-84. doi: 10.1038/nrmicro3432. Epub 2015 Apr 8. PMID: 25853778; PMCID: PMC4457377.
[16]. Dr Ph Colls, Urologue, Dr Pierre Chauvet, Pharmacien, Dr Decreau Claire et Dr De Bataille Laurent, Gériatres, Clinique Jules Verne, 2-4 route de Paris, 44300 Nantes, mai 2022.
[17]. Lee J.H., Kim Y.G., Lee J. Carvacrol-rich oregano oil and thymol-rich thyme red oil inhibit biofilm formation and the virulence of uropathogenic Escherichia coli. J Appl Microbiol. 2017 ; (6) : 1420-1428
[18]. Amalaradjou M.A.R., Narayanan A., Venkitanarayanan K. Trans-cinnamaldehyde decreases attachment and invasion of uropathogenic Escherichia coli in urinary tract epithelial cells by modulating virulence gene expression. J Urol. 2011 ; (4) : 1526‐31
[19]. Tétard Alexandre. Induction de la résistance aux antibiotiques chez la bactérie Pseudomonas aeruginosa par les molécules électrophiles. Soutenance de Thèse. 2021
[20]. Bouarab-Chibane L, Forquet V, Lantéri P, Clément Y, Léonard-Akkari L, Oulahal N, Degraeve P, Bordes C. Antibacterial Properties of Polyphenols: Characterization and QSAR (Quantitative Structure-Activity Relationship) Models. Front Microbiol. 2019 Apr 18;10:829. doi: 10.3389/fmicb.2019.00829. PMID: 31057527; PMCID: PMC6482321.
[21]. https://www.goinvo.com/vision/determinants-of-health/?utm_source=determinantsofhealth.org&utm_medium=redirect