Fatigue surrénalienne… en êtes-vous sûr ?
« Ce sont vos surrénales ! » Vous avez probablement entendu (je ne vous le souhaite pas) ou lu un peu partout que les glandes surrénales s’épuisent en cas de stress chronique. Ne serait-ce pas un abus de langage physiologique en voulant chercher un responsable quand il s’agit probablement d’une approche multifactorielle ? Il est bien plus facile et rassurant d’incriminer ces petites glandes au-dessus de vos reins et de vous demander de les masser avec douceur que de s’interroger pleinement sur les états émotionnels qui nous conduisent dans les noirceurs de l’âme. Petit tour d’horizon sur le stress, les émotions, le cortisol et la fatigue, mère de presque tous les maux.
La fatigue chronique touche autant de personnes que le VIH
La fatigue est LA grande épidémie de nos sociétés énergivores qui épuisent autant les ressources terrestres que physiologiques. Elle a même été affublée d’un syndrome quand elle devient chronique : le fameux Syndrome de fatigue chronique (SFC), non soulagé par vos siestes ou une cure de sommeil/cocktail sur les plages des Cyclades. Ce syndrome est l’une des grandes thématiques de nos cabinets de médecine alternative.
Son diagnostic repose sur des critères d’exclusion. Il toucherait environ 21 000 à 63 000 patients suisses, soit du même ordre de grandeur que ceux de l’infection VIH en Suisse[1].
Ajoutons les non-diagnostiqués, c’est-à-dire les personnes qui vivent bon gré mal gré avec leur état apathique, et nous pouvons estimer qu’un bon pourcentage de la population est touché.
Le Covid est aussi devenu un responsable avéré du syndrome de fatigue chronique. Il est similaire à celui associé à une fatigue post-virale de grippe ou autres maladies infectieuses, mais sa propension à provoquer cet état est significative.
L’office statistique du Royaume-Uni estime que le taux s’élève à 10 %. L’interview d’une immunologiste indiquait que 10 à 20 % des personnes qui développent un Covid long après une affection aiguë au Covid souffriront d’encéphalite myalgique, sorte de sous-espèce du Syndrome de fatigue chronique[2].
Sortir du SFC, une mission quasi-impossible
Les réponses officielles sont très timides compte tenu de l’absence d’une compréhension biologique ou psychologique claire des enjeux causaux du SFC et de similitudes avec la fibromyalgie ou la dépression. Raison pour laquelle il est reconnu que les personnes souffrant de ce type de pathologies entendront, après de multiples investigations, examens et consultations spécialisés que « c’est dans la tête » ou que « les tests ne montrent rien d’anormal[3] ».
La prise en charge se concentre sur un accompagnement à l’effort progressif, des démarches de reconversion professionnelle et un soutien empathique1.
L’empathie est indispensable mais sera probablement impuissante face aux exigences du marché du travail actuel et face à la pression des assurances sociales, dans un contexte de non-reconnaissance d’une pathologie pourtant très invalidante (il est établi que seulement 10 % environ des patients retrouveront leur capacité d’action[4]).
Épuisées et sans solution, ces personnes s’orienteront vers le vaste monde des médecines dites alternatives, complémentaires ou parallèles.
La complexité du SFC = la voie du dogme ?
Les comorbidités associées au SFC sont généralement :
- Des douleurs diffuses surtout dans un contexte de baisse du cortisol libre
- Des troubles du sommeil quasi systématiques
- Des troubles neurocognitifs avec des pertes d’attention, de mémoires, de concentrations et neurovégétatifs avec des vertiges
- Des difficultés à se tenir debout.
Il y a un contexte d’association potentielle et de cas cliniques croisés avec l’hypothyroïdie, la dépression, ou encore la fibromyalgie[5]. Il s’agit de pathologies complexes multifactorielles englobées dans des syndromes ou des troubles, à l’instar du Trouble à spectre affectif (TSA), ne pouvant se résumer à un simple enjeu physiologique.
Le TSA… ou Trouble à spectre affectif !
Il existe une catégorie regroupant les comorbidités de la dépression dite sérotoninergique : les troubles du spectre affectif. Ils intègrent la migraine, le syndrome du côlon irritable, le syndrome de fatigue chronique, la fibromyalgie et le trouble anxieux généralisé dans un seul et même chapeau.
Nous sommes bien en présence de cas type des pathologies chroniques sans réponses pharmacologiques fiables à l’étiologie inconnue, impliquant des facteurs physiologiques, psychologiques et environnementaux complexes et interdépendants[6].
La fatigue surrénalienne : le diagnostic magique
Devant ces tableaux multifactoriels complexes, il existe une appellation pratique répandue dans les médecines complémentaires : la fatigue surrénalienne. Ces surrénales, que nous pourrions rebaptiser « les glandes majeures de la survie des sociétés occidentales », sont connues pour nous aider à lutter contre le stress.
Elles produisent des hormones stéroïdiennes, comme l’aldostérone qui, de concert avec les reins, régule l’équilibre du sodium et du potassium dans le corps, donc assure le maintien du volume sanguin et surtout le cortisol, qui est uniquement sécrété par les glandes surrénales.
Le cortisol est avant tout une molécule de réponse à un stress, produisant une augmentation :
- De la réponse insulinique
- Du métabolisme énergétique glucido-protéique
- De la synthèse de neurotransmetteurs (catécholamines)
- D’effets anti-inflammatoires.
Cette molécule est irrésistible : augmentation des performances physiques et physiologiques et sentiment de super puissance. Elle permet de répondre à des stress épisodiques et d’assurer notre survie d’homo sapiens comme espèce animale, en optimisant l’utilisation de nos ressources.
Serait-ce votre cerveau qui dit « non » ?
Le cortisol est une hormone catabolique, c’est-à-dire qu’elle va puiser dans les tissus de réserves que sont les muscles et les os. Il augmente la glycémie sanguine et diminue la captation du glucose par le muscle.
Il peut être à l’origine d’immunodéficiences avec infections dans les cas de stress chronique, accompagnées d’une sécrétion élevée et continue de cortisol. Les conséquences d’une cortisolémie haute résultant d’un état de stress chronique peuvent se situer à différents niveaux : ostéoporose, diabète, prise de poids viscérale, stéatose hépatique et hypertryglicidémie[7].
Pire, il peut, à terme, détériorer le système limbique, où l’on retrouve 3 parties importantes de notre cerveau :
- L’hippocampe, impliqué dans les mémoires épisodiques et spatiales
- L’amygdale, impliquée dans la reconnaissance et l’évaluation des émotions, dans l’apprentissage associatif et dans les réponses comportementales et végétatives, associées en particulier en cas de peur et d’anxiété
- L’hypothalamus, qui est schématiquement le call center entre le corps et le cerveau, avec une intégration des stimuli périphériques et une modulation de la réponse physiologique par la sécrétion de neurohormones.
Enfin, dans ce contexte délétère de décompensation physiologique en lien avec un stress chronique, on devient anxieux, c’est-à-dire qu’on prend conscience psychologiquement de notre état mental pour ensuite s’effondrer en burn-out ou en dépression psychologique.
Devant ce tableau simplifié de la réponse au stress, est-ce que réellement les surrénales ne peuvent plus produire de cortisol ou est-ce que c’est le cerveau qui dit non ?
Le cerveau ne donne plus l’alerte !
Plusieurs hypothèses peuvent être pensées (toujours par le même cerveau) pour expliquer la gestion de l’impact de la régulation du stress :
- Le corps est dans un état catabolique, il protège ses tissus
- Le corps répond à une situation d’infection en rééquilibrant sa réponse lymphocytaire (voie TH1/TH2) pour lutter contre les agresseurs dans un contexte d’immunosuppression engendré par le cortisol, le stress et donc la réponse émotionnelle et physiologique au stress.
Ce ne sont donc pas les surrénales qui s’épuisent mais le cerveau qui ordonne et décide ce qui sera le mieux pour le maintien de l’homéostasie physiologique.
Nous sommes dans un cercle vicieux bien illustré par cette citation de l’un des pères des neurosciences cognitives contemporaines, William James : « Rien ne fatigue davantage que le rappel constant de la tâche inachevée. »
Le cortisol s’inactive en cas d’obésité
Il existe aussi un autre cas de figure de perturbation dans la production des glucocorticoïdes, en cas d’obésité.
Dans ce contexte, il y a une augmentation de la sécrétion de cortisol directement à partir de la glande surrénale, alors que les taux plasmatiques circulants sont normaux. Le corps essaye de diminuer le cortisol pour se protéger d’une hormone favorisant l’insulino-résistance par l’activation d’une enzyme (la 11β-HSD2), qui inactive le cortisol tissulaire en le convertissant en cortisone inactive[8].
Nous sommes bel et bien en présence d’un mécanisme adaptatif permettant de protéger la vie cellulaire d’une atteinte métabolique.
Une autre hypothèse d’augmentation de la dégradation du cortisol tissulaire est l’hyperthyroïdie, qui pousse l’hypothalamus à sécréter la CRH, donc la production plasmatique de cortisol[9].
Le réglisse, l’exemple type de la solution contre-indiquée
Le réglisse est le parfait exemple de la prescription intuitive… mais à risques.
Imaginons un tableau clinique de décompensation physiopathologique avec : fatigue matinale, douleurs articulaires anxiété, insomnie avec réveils nocturnes. Cela est consécutif à une situation de stress chronique conjugal, familial, social et/ou professionnel. Ajoutons qu’un dernier événement vous fait consulter un naturopathe après avoir été aux urgences pour une crise d’angoisse.
Le moral est en berne, l’attention est diminuée et donc la mémoire défaillante et depuis trois mois, vous avez établi un pacte d’amitié avec les virus.
Or, le mois prochain, un meeting déterminant, selon une perception bien personnelle, vous attend et vous sentez que vous n’avez plus les ressources pour tenir.
Le bon détective que vous êtes cible les surrénales comme étant la pièce maîtresse sur laquelle vous voulez agir.
Vous expliquez bien que les surrénales sont épuisées ce qui, avec ce mot-clé, est bien entendu admis sans concession !
On pourrait alors facilement penser au réglisse, puisque c’est un inhibiteur de la 11β-HSD2 qui métabolise le cortisol en cortisone inactif dans les tissus[10]. Cela semble donc une excellente option à associer avec des adaptogènes pour travailler sur le métabolisme du cortisol, d’autant que c’est aussi un excellent antiviral[11]. Je ne peux d’ailleurs que mentionner qu’il m’a été d’une aide précieuse dans les situations de dégradation inflammatoires post covid[12]. Oui mais…
Votre patient doit-il être stimulé pour la production de glucocorticoïdes ? N’y a-t-il pas un risque à augmenter le cortisol si le corps a décidé de le baisser ?
Le seul moyen d’investigation est le contrôle du cortisol et de ses métabolites urinaires sur heures. À partir de ce moment, si les taux de ces deux marqueurs sont à un niveau bas, le réglisse non déglycyrrhizinée est un premier choix.
Or, si les métabolites sont hauts et le cortisol libre bas, le réglisse viendra interférer une réponse physiologique issue d’une potentielle infection virale, bactérienne, fongique ou il éliminera le cortisol pour faire face à l’agresseur. N’oublions pas que le corps privilégiera systématiquement la survie à vos conditions de vie.
En bref, le cerveau enverra son signal, les surrénales exécuteront leur tâche et les cellules désactiveront le cortisol pour faire face à l’enjeu prioritaire. Votre stratégie thérapeutique sera non seulement inopérante, mais elle peut en plus aggraver une situation pathologique latente.
La fatigue des surrénales n’existe pas ?
Une revue systématique a parcouru 3 470 articles sans aucune preuve scientifique que la « fatigue surrénale » existe[13].
La fatigue surrénalienne reste pourtant un grand classique des approches alternatives. Issue du best-seller de Wilson[14], la logique est implacable. Le stress chronique et le style de vie affectent la capacité de l’organisme à récupérer du stress physique, mental ou émotionnel. Cela engendre une production excessive de cortisol qui, à terme, va épuiser ces petites glandes : la fatigue ou l’épuisement surrénalien.
Avec les exemples précédents, nous comprenons bien que le métabolisme du cortisol est plus complexe qu’un syndrome de fatigue surrénalien qui permet juste de mettre une étiquette sur un processus multifactoriel.
Restons vigilants pour ne pas nous réfugier dans des certitudes rassurantes car facilement compréhensibles.
Soignez la personne, son corps et son esprit : les surrénales vous remercieront !
Le corps et le cerveau forment un organisme intégré qui interagit entièrement et mutuellement par des voies biochimiques et neurales. Nous devons donc toujours nous interroger dans une approche résolument holistique sur la question du pourquoi et garder en grand principe cette vertu spinoziste que le corps et l’esprit sont donc une seule et même chose[15] à considérer ensemble.
Pour cela, j’embrasse pleinement et avec humilité la pensée complexe d’Edgar Morin : « Penser les choses de manière décloisonnée et globale, c’est faire en sorte que nos décisions prennent en compte tous ses prismes possibles et qu’ainsi on réfléchisse sincèrement à notre impact. »
Ce n’est qu’en se remettant en question de manière permanente que nous ferons grandir et évoluer cette famille des médecines complémentaires d’une médecine dite conventionnelle ou spécialiste mais où les convergences et interactions sont un enjeu dans l’accompagnement de toutes les pathologies complexes de l’humain.
Sylvain Garraud
[1]. Gonthier, Favrat, « Syndrome de fatigue chronique », Rev Med Suisse, 2015
[2]. www.swr.de/swr2/leben-und-gesellschaft/chronisch-muede-und-erschoepft-wie-gefaehrlich-ist-das-fatigue-syndrom-swr2-forum-2022-05-06-100.html (abgerufen am 10.05.2022).
[3]. Committee on the Diagnostic Criteria for Myalgic Encephalomyelitis/Chronic Fatigue Syndrome; Board on the Health of Select Populations; Institute of Medicine. Beyond Myalgic Encephalomyelitis/Chronic Fatigue Syndrome: Redefining an Illness. Washington (DC): National Academies Press (US); 2015 Feb 10. PMID: 25695122.
[4]. White, Goldsmith, Johnson, Chalder, Sharpe, « Recovery from chronic fatigue syndrome after treatments given in the PACE trial », Psychol Med, 2013
[5]. Meeus, Nijs, Hermans, Goubert, Calders, « The role of mitochondrial dysfunctions due to oxidative and nitrosative stress in the chronic pain or chronic fatigue syndromes and fibromyalgia patients: peripheral and central mechanisms as therapeutic targets? », Expert Opin Ther Targets, 2013
[6]. Gardner, Boles, « Beyond the serotonin hypothesis: mitochondria, inflammation and neurodegeneration in major depression and affective spectrum disorders », Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry, 2011
[7]. www.elsevier.com/__data/assets/pdf_file/0003/1216866/Physiologie-du-cortisol.pdf
[8]. Akalestou, Genser, Rutter, « Glucocorticoid Metabolism in Obesity and Following Weight Loss », Front Endocrinol (Lausanne). 2020 Feb.
[9]. Gallagher, Hellman, et al., « Hyperthyroidism and cortisol secretion in man », J Clin Endocrinol Metab., 1972
[10]. Soma, Ikeda, Morise, Miyamori, Takeda, « Effect of glycyrrhizin on cortisol metabolism in humans », Endocr Regul., 1994
[11]. Fiore, Eisenhut, et al., « Bielenberg J. Antiviral effects of Glycyrrhiza species », Phytother Res., 2008 Feb.
[12]. Hoever, Baltina, Michaelis, et al., « Antiviral activity of glycyrrhizic acid derivatives against SARS-coronavirus », J Med Chem., 2005
[13]. Cadegiani, Kater, « Adrenal fatigue does not exist: a systematic review », BMC Endocr Disord., 2016 Aug
[14]. Adrenal Fatigue: The 21St-Century Stress Syndrome
[15]. Delassus Éric, « Vivre et penser son corps », Sociétés, 2014/3 (n° 125), p. 117-126.